Interprétation des résultats

Extraits du rapport L’étudiant autochtone et les études supérieures: regards croisés au sein des institutions.


 

Notre projet de recherche s’est amorcé sur la base que l’un des problèmes importants liés à la persévérance et à la réussite aux études postsecondaires des étudiants autochtones est la méconnaissance entre les Autochtones et les Allochtones. Cette méconnaissance crée des biais de communication et de perception entre ces deux groupes et influence négativement les réalisations pédagogiques. Dans le désir de collaborer à la mise en place d’un dialogue juste et harmonieux entre ces acteurs, la partie suivante documentera d’abord les différentes sphères de l’expérience scolaire des étudiants autochtones interrogés (motifs incitatifs, transition, adaptation et perceptions des études postsecondaires et Perceptions et relations entre les différents acteurs). Ensuite, nous relèverons des éléments de divergences conceptuelles entre les Autochtones et les Allochtones qui causent parfois des entraves au dialogue. Enfin, nous terminerons cette partie par des suggestions pour les établissements d’enseignement supérieur afin d’améliorer la persévérance et la réussite scolaires des étudiants autochtones. Cette interprétation des données permettra de savoir ce que chaque acteur pense et comprend de l’autre qu’ils en prennent ensuite connaissance et amorcent ensemble un dialogue d’ordre sociopédagogique. Cet exercice vise donc l’intercompréhension des acteurs impliqués dans les études postsecondaires des Autochtones. Bien entendu, ces résultats seront bonifiés par la littérature existante.

 

Il importe de préciser que l’interprétation des données s’est effectuée avec un souci de conjuguer l’expérience des étudiants autochtones du cégep à ceux de l’université. Lorsque cela s’avérait impossible, nous avons pris soin de noter les différences entre ces contextes d’étude. Par ailleurs, nous avons privilégié dans l’interprétation les éléments de l’analyse qui étaient reliés à nos objectifs de recherche. Ces objectifs étaient de :

  • Connaitre le profil de l’étudiant autochtone qui étudie aux études postsecondaires;
  • Comprendre le sens que l’étudiant autochtone construit à partir de son expérience aux études postsecondaires;
  • Connaitre les motifs qui poussent l’étudiant autochtone à aller à l’école et à persévérer aux études postsecondaires (ou non);
  • Déterminer les besoins et intérêts de l’étudiant autochtone qui poursuit des études postsecondaires;
  • Déterminer les besoins et intérêts des différents intervenants institutionnels à propos de la réalité autochtone;
  • Connaitre la nature des relations que l’étudiant autochtone entretient avec les personnes impliquées directement ou indirectement dans son expérience scolaire;
  • Connaitre les perceptions respectives et réciproques des étudiants autochtones et des différents intervenants institutionnels relativement à l’enseignement et à l’encadrement des étudiants dans leur milieu de vie;
  • Proposer des stratégies d’enseignement, d’apprentissage et d’encadrement susceptibles de favoriser la réussite scolaire;
  • Déterminer les actions à mettre en place pour assurer la transition des étudiants vers l’université.

 

 1. Des réflexions sur les différentes étapes de l’expérience postsecondaire des étudiants autochtones

Cette partie s’intéresse aux principales dimensions de l’expérience scolaire des étudiants autochtones en contexte d’études supérieures. Elle met l’accent sur les relations entre les acteurs et leurs perceptions des uns envers les autres. Elle permettra d’approfondir scientifiquement les résultats liés à trois objectifs de l’étude : connaitre les motifs qui poussent l’étudiant autochtone à aller aux études postsecondaires et à persévérer; connaitre la nature des relations et des perceptions entre les étudiants autochtones et les personnes impliquées directement ou indirectement dans leur expérience scolaire, et enfin connaitre le profil de l’étudiant autochtone qui étudie aux études postsecondaires.

 

1.1 Le choix de l’enseignement supérieur: les principaux motifs incitatifs

Si l’on se base sur les résultats de l’étude, différents motifs incitent les étudiants autochtones à persévérer aux études supérieures. Il s’agit principalement de l’appui de la famille et des proches, du désir de bonnes conditions de vie pour eux et pour leur communauté et des retombées financières.

 

La famille et les proches.

En premier lieu, les étudiants autochtones ont mentionné que leur famille et leurs proches les ont encouragés à poursuivre leurs études après le secondaire. Ils soulignent qu’ils ont des modèles dans leur famille, chez leurs amis ou chez des personnalités autochtones qui les ont inspirés à persévérer. L’importance de ces modèles significatifs a été relevée à l’intérieur de plusieurs études s’intéressant à la réussite scolaire d’étudiants autochtones (Bergstrom, Cleary et Peacock, 2003; Montgomery et autres, 2000; Rodon, 2008). Les intervenants de la communauté autochtone interrogés sont du même avis lorsqu’ils indiquent que la motivation des étudiants autochtones trouve son origine dans le soutien familial et communautaire. D’ailleurs, tous les ans, la communauté de Pessamit organise une grande fête afin de souligner la réussite des étudiants de tous les niveaux d’études de la communauté. Il est donc possible d’affirmer que la décision de poursuivre des études postsecondaires est soutenue par la famille et les membres des communautés des étudiants interrogés. L’étude de Montgomery et autres (2000) et celle de Timmons (2009) ont constaté ce même fait.

 

Quelques intervenants de la communauté autochtone précisent aussi que le fait de fréquenter un établissement d’études supérieures est relativement nouveau dans la communauté. Cela remonte à une cinquantaine d’années. Ainsi, certains élèves sont des pionniers dans leur famille. La Commission de l’éducation du Québec (2007) fait également ce constat lorsque les auteurs précisent que pendant des centaines d’années, les savoirs des Premiers Peuples ont été transmis dans le contexte de la famille et de la communauté et que l’école, dans sa conception « occidentale », est apparue il y a à peine 50 ans. Ainsi, la tradition scolaire des nations autochtones est très jeune. En quelques générations, plusieurs nations autochtones sont donc passées de petits groupes nomades autosuffisants à des groupes sédentaires de plusieurs centaines de personnes (Commission de l’éducation, 2007). Il s’agit là d’un élément contextuel fondamental à prendre en compte lorsque l’on étudie la situation scolaire autochtone actuelle. Toute analyse comparative avec les sociétés occidentales qui ne tiendrait pas compte de ce fait est absolument fallacieuse.

 

Les résultats de notre étude sont cependant loin d’être univoques. Selon plusieurs enseignants et professionnels, les étudiants autochtones qui poursuivent des études postsecondaires à l’extérieur de leur communauté ne sont pas toujours soutenus par leurs proches. Une minorité va même jusqu’à dire qu’ils vivent des préjugés de la part de leur propre entourage, car ils agissent comme des « Blancs » (des professeurs du Cégep diront que les étudiants qui poursuivent aux études postsecondaires sont comparés à des pommes avec la peau rouge à l’extérieur et le cœur blanc à l’intérieur, ce que confirment d’ailleurs quelques étudiants autochtones). Aussi, certains professeurs et professionnels rappellent que plusieurs étudiants autochtones n’ont pas de modèle dans leur famille, car ils sont souvent des étudiants de première génération à l’enseignement supérieur. Des professionnels ont aussi la perception que la famille occupe une grande place dans l’expérience scolaire des étudiants autochtones, mais pas toujours pour des raisons positives, et que cela entraine parfois des difficultés. Les professionnels considèrent que les conditions et les difficultés vécues dans les communautés sont même parfois des éléments démotivants pour les étudiants autochtones.

 

Il semble donc que cette perception de plusieurs professionnels et enseignants entre en contradiction avec ce que pense la majorité des étudiants autochtones et des intervenants de la communauté. Cette perception de ces acteurs n’est toutefois pas exactement fausse à la lumière de la littérature scientifique. De nombreuses études ont en effet relevé que plusieurs jeunes autochtones choisissent de ne pas poursuivre leurs études postsecondaires, car ils adhèrent aux propos de membres de leur communauté estiment que les études postsecondaires assimilent les étudiants autochtones à la culture occidentale, signifiant ainsi le rejet de la culture de leurs ancêtres (Canada Millennium Scholarship Foundation, 2005; Castellano et autres, 2000; Commission de l’éducation, 2007; Conseil en Éducations des Premières Nations, 2009; Hampton et Roy, 2002). Il faut dire que cette vision conflictuelle de l’école a des fondements historiques solides. La Commission sur l’éducation (2007) souligne avec justesse que l’école « occidentale » est entrée en conflit, de nombreuses façons, avec le style de vie traditionnel des Premiers Peuples. Dans l’histoire récente, cette croyance peut être directement liée à l’époque des pensionnats autochtones qui visait explicitement l’assimilation culturelle et linguistique des Premiers Peuples (Lepage, 2009). Hampton et Roy (2002) soutiennent qu’il y a eu, depuis les années 70, de grandes améliorations dans le domaine de l’éducation chez les Premiers Peuples, mais que la visée assimilatrice de l’éducation est encore présente. L’eurocentrisme y est l’approche légitimée et l’histoire, la culture, les savoirs et les langues autochtones y sont largement ignorés (Battiste, 2013; Hampton et Roy, 2002). D’ailleurs, Gibson et Ogbu (1991) démontrent qu’un des facteurs qui rend difficile l’intégration des minorités culturelles à la culture majoritaire de l’école est relié au fait que l’intégration dans cette culture peut être synonyme d’aliénation et s’assimilation à la culture majoritaire. Cela peut même aller jusqu’à se faire rejeter par son groupe de pairs (De Klerk, 2000; Fordham et Ogbu, 1986).

 

À notre avis toutefois, cette rupture de sens de l’école pour les Autochtones, alimentant une attitude de résistance, s’est beaucoup atténuée depuis la prise en charge administrative de l’éducation formelle par les communautés autochtones elles-mêmes. Les curriculums scolaires, bien que généralement très proches de ceux élaborés par les sociétés majoritaires, introduisent de plus en plus d’éléments de la culture autochtone locale. Plus important encore : les décisions cruciales sur le plan éducationnel sont prises par les gens de la communauté qui administrent les écoles. D’ailleurs, dans notre étude, les étudiants autochtones n’ont pas semblé défendre de position conflictuelle sur la symbolique acculturante de l’institution. En quelque sorte, nos résultats vont donc dans le sens contraire des études critiques mentionné plus haut, que soutenaient pourtant certains professionnels et certains enseignants. Les étudiants acceptent les fonctions éducationnelles de l’institution d’enseignement (et n’y voient pas de projet négationniste), sans pour autant vouloir s’assimiler. Cela rejoint le constat de l’AADNC (2012) et l’attitude notée par Ogbu chez les jeunes de « minorité volontaire », qui réussissent d’ailleurs généralement bien à l’école (Ogbu et Simon, 1998). Ces jeunes de « minorité volontaire » ont un rapport utilitaire et stratégique à l’institution, mais ils conservent jalousement leur identité culturelle (Dubet, 1994). Ici, il nous apparaitrait fort intéressant d’approfondir une possible mutation perceptuelle chez les étudiants autochtones, peut-être alimentée par la prise de contrôle communautaire de l’éducation formelle : de jeunes issus de « minorités involontaires » qu’ils étaient (avec tout ce que cela comporte de blocages psychologiques), ils en arrivent progressivement à se percevoir et se conduire comme des membres de « minorités volontaires » (avec tout ce que cela permet en terme de détermination et de confiance en soi) lorsqu’ils accèdent aux études supérieures. Sur le plan du développement social des Premiers Peuples, ce serait là un changement positivement majeur. Il reste que les propos des professionnels et des professeurs, ou bien dénotent une méconnaissance de leurs étudiants autochtones à ce niveau, ou bien se basent sur des expériences antérieures différentes et marquantes pour eux..

 

Une autre interprétation de la situation serait possible. Dans une posture théorique critique, Lavell-Harvard (2011) s’est intéressée aux femmes autochtones ontariennes persévérantes à l’université. Elle s’est intéressée aux stratégies employées par ces femmes pour surmonter les barrières du système qu’elle qualifie d’oppresseur. Elle a démontré qu’elles persévéraient dans le système éducatif eurocentrique dans un élan de résistance à ce système. Ses résultats de recherche la poussent à croire que les discriminations du système éducationnel ont motivé les femmes autochtones à persévérer pour en venir à une meilleure vie et à un changement social. Ces femmes ont alors usé de stratégies de résistance pour persévérer. Il s’agit, entre autres, de la stratégie de la confrontation, c’est-à-dire de prendre l’identité allochtone selon les contextes, de passer pour invisible et/ou de jouer le jeu à la façon du « Blanc ». Bien que notre recherche ne visait pas à relever les stratégies de résistance des étudiants interrogés, il est intéressant de constater que certaines des stratégies de résistance relevées par Lavell-Harvard (2011) semblent également être utilisées par nos répondants. Comme nous le constaterons dans les prochaines pages, en classe, plusieurs répondants se font discrets et se font presque « invisibles ». Un étudiant a même souligné qu’il se fait passer pour un Allochtone.

 

De bonnes conditions de vie pour eux et leur communauté.

Les étudiants autochtones ont presque tous indiqué qu’un des motifs les ayant motivés à persévérer aux études postsecondaires est le désir de bénéficier de bonnes conditions de vie, pour eux et pour leur communauté, car ils ont le souhait d’y retourner après leurs études pour participer à la vie sociale. Deux motifs sont évoqués pour expliquer la volonté de retourner dans leur communauté : le désir d’aider en partageant les connaissances acquises aux études et la possibilité d’être un modèle pour les générations futures. Cette perception semble partagée par les enseignants qui sont d’avis que ce qui motive les étudiants autochtones est le désir d’améliorer leurs conditions de vie et celle de leur communauté et d’avoir un métier qui leur plait. Ce résultat est corroboré par plusieurs études (Gauthier, 2005; Joncas, 2013; Montgommery et autres, 2000). Les jeunes autochtones rencontrés par ces chercheurs souhaitaient tous, un jour ou l’autre, s’installer dans leur communauté afin d’y apporter quelque chose.

 

Un soutien financier.

Une allocation financière pour financer les études postsecondaires est versée à plusieurs des étudiants autochtones selon certains critères en vertu de la Loi sur les indiens (MAADNC, 2010). Cette aide financière est un incitatif à la poursuite des études, car elle permet à la majorité des participants de poursuivre leurs études postsecondaires en finançant les frais de scolarité. Les étudiants autochtones de notre recherche affirment toutefois que bien que cette aide soit suffisante pour payer les frais de scolarité et le matériel scolaire, elle est insuffisante pour répondre adéquatement à l’ensemble de leurs besoins. Les enseignants, les professionnels et les étudiants allochtones sont conscients du manque de ressources financières des étudiants autochtones et des conditions rigides émises pour avoir accès à ce soutien. Le critère des études à temps plein figure comme étant le plus contraignant. Cela dit, certains enseignants (notamment ceux du Cégep) souhaitent mieux comprendre le processus de financement.

 

Il en résulte donc que ce soutien financier est une motivation à la poursuite des études postsecondaires, mais demeure également un problème. Ce constat est d’ailleurs relevé dans plusieurs ouvrages comme étant la principale barrière rencontrée dans la poursuite des études postsecondaires des étudiants autochtones (Canada Millennium Scholarship Foundation, 2005; Conseil des ministres de l’Éducation, 2010; Conseil supérieur de l’éducation, 2010). En effet, par exemple, dans une étude explorant l’expérience scolaire d’étudiants autochtones résilients dans des collèges américains, Montgomery et autres (2000) ont noté que même si les étudiants voient l’aide financière qui leur est versée par leur communauté comme favorable à leur réussite aux études postsecondaires, elle n’est pas perçue comme étant un soutien décisif à leur réussite scolaire, car ces bourses sont parfois limitées et soumises à des pressions politiques dans la communauté. Les allocations gouvernementales sont alors caractérisées comme étant trop faibles et trop sélectives quant aux étudiants admissibles (Montgomery et autres, 2000). De plus, selon le Conseil supérieur de l’éducation du Canada (2010), « les subventions versées aux étudiants autochtones ne sont pas suffisantes pour vivre adéquatement en milieu urbain » (p. 24). Une étude de Statistique Canada sur l’expérience au chapitre de l’éducation et de l’emploi des Autochtones vivant hors réserve a également révélé qu’une des principales raisons[1] évoquées par plus du tiers des répondants pour ne pas avoir terminé leurs études postsecondaires est qu’ils n’avaient pas eu assez d’argent pour répondre à tous leurs besoins ou dépenses (Bougie, Kelly-Scott et Arriageda, 2013). Malates et autres (2002) et Lavell-Harvard (2011) indiquent que même si ce financement est important, il ne suffit pas, et ce, particulièrement pour les étudiants résidants à l’extérieur de leur communauté qui ne bénéficient pas du soutien social des proches. Tremblay. Lévesque et Labrecque (2007) soulignent que les difficultés financières posent problème dans l’accès aux études postsecondaires des étudiants autochtones. Le CEPN (2009) et l’APNQL (2014) sont aussi de cet avis.

 

 1.2 L’établissement d’enseignement supérieur: transition, adaptation et perceptions

            Dans cette section, nous aborderons la question des transitions entre les différents niveaux d’études et l’adaptation des étudiants autochtones aux études supérieures. Nous exposerons aussi les perceptions et l’attachement des étudiants autochtones à leur institution scolaire.

 

La préparation au métier d’étudiant.

La transition à l’enseignement supérieur a posé de grands défis aux étudiants autochtones. Certains d’entre eux considèrent ne pas avoir été préparés à la réalité du cégep et de l’université. De plus, il semble que les objectifs de leur parcours scolaire ne sont pas clairs chez bon nombre d’entre eux. Pour pallier ces problèmes, certains étudiants autochtones ont suggéré d’introduire une session en Accueil et intégration afin de favoriser un moment de réflexion sur leur avenir et de mieux s’approprier le monde des études postsecondaires. La majorité des répondants, tant allochtones qu’autochtones, croit également que les étudiants autochtones ne seraient pas assez préparés à la transition au « métier d’étudiant » au niveau des études postsecondaires. Plusieurs diront qu’ils ne sont pas prêts et qu’ils auraient besoin de formations, entre autres, en gestion du temps et en méthodologie du travail. Les intervenants de la communauté sont aussi d’avis que les étudiants autochtones devraient participer à un programme préparatoire à l’entrée aux études postsecondaires. Selon eux, cela aiderait les étudiants à se fixer des objectifs afin d’éviter les changements de programme ou les interruptions des études. Soulignons que, dans le cadre de notre recherche, nous avons constaté que les étudiants autochtones interrogés ont, pour la plupart, un parcours scolaire parsemé d’interruptions, de reprises et de réorientations scolaires. En effet, un seul étudiant parmi les quinze a complété son cégep dans les délais normalement prescrits, c’est-à-dire qu’il s’est directement dirigé vers des études universitaires et n’a jamais interrompu ses études ni ne s’est réorienté vers un autre domaine. Cette formation que suggèrent plusieurs acteurs pourrait donc faciliter, selon eux, la réussite aux études postsecondaires des étudiants autochtones. À cet effet, Bergstrom et autres (2003) ont démontré que les étudiants autochtones qui réussissent bien ont un bon sens de l’orientation vers le futur et focalisent vers leur avenir. D’autres auteurs ont aussi noté que la faible préparation scolaire des étudiants autochtones à leur entrée aux études postsecondaires serait un facteur de décrochage scolaire (Conseil des ministres de l’Éducation, 2010; Malatest et autres, 2002; Timmons, 2009). Nombreuses sont les études qui considèrent que l’implantation d’une formation de préparation à la vie d’étudiant postsecondaire serait favorable (Adelman, 2010; Association des universités et collèges du Canada, 2014; Sloane-Seale, 2003).

 

Un milieu de vie contrastant.

Plusieurs auteurs ont démontré que la persévérance et la réussite scolaires sont affectées par le groupe ethnique dans lequel un étudiant se situe (Fordham et Ogbu, 1986; Ogbu et Simons, 1998; Pavlenko et Blackledge, 2004; Pavlenko et Norton, 2003). L’analyse et l’interprétation de nos données ont mis en lumière quelques difficultés par rapport à l’identité culturelle autochtone des étudiants participant à la recherche. Les difficultés culturelles viennent d’abord de la période d’adaptation au nouveau milieu d’études. Comme il n’existe pas d’établissements postsecondaires, mis à part le collège Kiuna à Odanak, à l’intérieur des communautés autochtones du Québec, les étudiants autochtones doivent, pour poursuivre leurs études, quitter à plus ou moins long terme leur communauté (à tous les jours pour les étudiants du cégep et pour de plus longues périodes pour les étudiants de l’université). Considérant les différences marquées entre les communautés autochtones et le contexte scolaire allochtone, une période de transition et d’adaptation est de mise. La langue utilisée, le nombre imposant de personnes, la culture institutionnelle occidentale et le fait de connaitre peu de gens sont les principales différences notées par les étudiants autochtones rencontrés. De plus, plusieurs étudiants universitaires résidant à l’extérieur de leur communauté ont signifié que leur plus grande difficulté est la distance qui les sépare du réseau social de leur communauté. En plus de cette adaptation à un nouveau milieu, les étudiants autochtones ont mentionné que le fait de vivre hors de la communauté rend difficile leur participation à des activités traditionnelles. L’équilibre entre le maintien de leur langue et leur culture et le mode de vie contemporain semble ainsi être complexe pour les répondants.

 

La plupart des enseignants, professionnels et étudiants allochtones rencontrés ont remarqué que les étudiants autochtones ont des difficultés d’adaptation dans leur établissement d’études et leur ville d’accueil à cause des multiples différences entre ces milieux et leur communauté. Les intervenants de la communauté de Pessamit ont rappelé que les étudiants du cégep doivent s’intégrer à cet établissement, mais également dans la ville de Baie-Comeau. Comme ils le soulignent, pour plusieurs étudiants, il s’agit à la fois d’un premier contact avec un établissement d’enseignement supérieur et avec une ville où domine largement la culture occidentale. La majorité des enseignants ont aussi soulevé le fait que les étudiants autochtones semblent vivre des difficultés au niveau de leur intégration. Certains ont ajouté que leur grande réserve n’aidait pas à leur intégration. Il en va de même avec les étudiants allochtones qui ont remarqué les difficultés d’intégration des étudiants autochtones : quatre étudiants ont justifié cette situation par leur manque d’ouverture et quatre autres par des préjugés qu’ont leurs collègues allochtones envers eux.

 

Adelman et autres (2010), dans leur étude sur la rétention et la réussite des étudiants autochtones aux études postsecondaires, sont également d’avis que le fait de quitter sa communauté autochtone pour poursuivre des études est un stress fondamental pouvant mener vers le décrochage scolaire de ces jeunes. Sonn, Bishop et Humphries (2000) ont exploré l’expérience scolaire de 34 étudiants autochtones aux études supérieures et reconnaissent aussi que le changement de milieu de vie provoqué par ce départ peut provoquer un choc culturel. Rodon (2008), dans son étude sur la réussite scolaire d’étudiants autochtones universitaires au Québec, va en ce sens en relevant que les étudiants provenant d’une communauté autochtone éloignée des centres urbains ressentent une distanciation culturelle et géographique entre leur communauté et leur milieu d’études. Tremblay (dans Lévesque et Labrecque, 2007) soutient que ce qui est difficile pour un Autochtone qui entre à l’université, c’est de naviguer à travers un programme sans perdre son identité ou sa culture. Les établissements d’enseignement supérieur ne sont pas faits pour les aider à mieux comprendre leurs cultures. Cette chercheuse ajoute que ces institutions ont un curriculum très colonialiste lorsqu’il est question des Autochtones.

 

Cela dit, la transition vers le milieu d’enseignement supérieur et les différences marquées entre ce milieu et la communauté autochtone ont déstabilisé les répondants, mais elles ne semblent pas les avoir confrontés à un état de discontinuité culturelle. Ce concept de discontinuité culturelle se comprend par une trop grande distance culturelle entre les communautés autochtones et la réalité scolaire qui provoque des incompatibilités culturelles pouvant mener vers une conception du monde instable et une perte de sens (Agbo, 2003, 2005; Shield, 2005). Certaines études soulignent l’importance, pour les étudiants autochtones, de créer un pont entre leur culture et celle des institutions occidentales afin de s’y adapter culturellement pour pouvoir réussir (McMullen et Rohrbach, 2003; Rodon, 2008; Shield, 2005; Strand et Peacock, 2002). Généralement, le concept de discontinuité culturelle est reconnu dans la littérature pour son impact prépondérant sur le décrochage scolaire des étudiants autochtones au niveau postsecondaire (Assemblée des Premières Nations, 2010a; Dion-Stout et Kipling, 2003; Shield, 2005; Strand et Peacock, 2002).

 

            Un élément très important a certainement aidé les étudiants autochtones à traverser ces épreuves culturelles. Il s’agit de la fierté de tous les étudiants autochtones envers leur origine autochtone. Pour les étudiants collégiens de notre recherche, cette fierté est davantage associée au fait d’être Innu. La persistance de la langue autochtone, leur grande résilience et leurs valeurs sont nommées comme étant ce qui les rendait fiers de leurs origines innues. Pour certains étudiants, bien que leur fierté face à leur identité autochtone soit empreinte d’ambivalence, la majorité des étudiants persévérants ont une identité autochtone dite assumée. Ce résultat est également relevé dans les études de Gauthier (2005), de Joncas (2013) et de Bergstrom et autres (2003) dans lesquelles les étudiants autochtones qui réussissent bien manifestent un attachement et une fierté à leur identité ethnique. Montgomery et autres (2000) sont du même avis et soulignent que les étudiants autochtones qui réussissent le mieux aux études postsecondaires sont ceux qui utilisent leur culture autochtone à l’intérieur de leur parcours scolaire afin d’y développer une identité académique culturellement autochtone. La Commission de l’éducation (2007) du Québec précise que plusieurs des communautés autochtones rencontrées croient qu’elles peuvent surmonter les défis qu’elles rencontrent, par exemple sur le plan de la scolarisation, en inculquant un sentiment d’identité culturelle fort à leurs jeunes.

 

La théorie d’Huffman (2001) sur la résistance et la transculturation pour expliquer la persévérance scolaire d’étudiants autochtones permet de comprendre comment la fierté en son identité ethnique favorise la persévérance et la réussite. Selon cette théorie, malgré le fait que les étudiants autochtones subissent une aliénation culturelle dans les institutions occidentales, ceux qui persévérèrent ont réussi à passer par-dessus et à réussir à l’école en s’appuyant davantage sur leur identité culturelle autochtone (Huffman, 2001). Huffman (2001) nomme « transculturation » ce processus d’apprentissage d’une autre culture tout en étant ancré dans une culture première. Ainsi, la fierté de l’identité ethnique permet un ancrage affectif qui donne de la confiance et un sentiment de sécurité par rapport à l’adversité et à la discontinuité culturelle (Huffman, 2001; Shield, 2005). Autrement dit, cet ancrage dans leur culture autochtone leur permet de renforcer leurs compétences personnelles pour faire face aux discontinuités culturelles entre leur communauté et le milieu universitaire tout en gardant une forte identité autochtone (Huffman, 2001; Shield, 2005). La persévérance scolaire et l’obtention d’un diplôme sont alors plus favorables lorsque les étudiants autochtones ont la liberté d’exprimer leur identité ethnique et qu’ils sont encouragés à le faire au sein de leur environnement d’études (Huffman, 2001). À cet effet, Dubet (2007) mentionne qu’au sein de leur milieu scolaire, les étudiants vont, afin de garder une cohérence sociale, normalement vouloir défendre et assurer la reconnaissance de leur place et de leur culture.

 

La perception de l’établissement d’études.

Dans l’ensemble, les étudiants autochtones interrogés ont une perception positive et sont satisfaits de leur établissement d’études. Un lien d’attachement semble même s’être particulièrement développé chez les étudiants du Cégep de Baie-Comeau. Outre la taille de cette institution (moins de 700 étudiants), ce lien d’attachement peut être expliqué par le fait que les étudiants autochtones disposent d’un local attitré. La possibilité de disposer d’un local pour que les autochtones se retrouvent entre eux ne fait cependant pas l’unanimité chez les acteurs rencontrés. En effet, certains étudiants autochtones interrogés reconnaissent la nécessité de se regrouper entre eux au local, alors que d’autres ont l’impression que ce lieu les ostracise. Par contre, plusieurs recherches semblent concorder voulant que les étudiants autochtones aiment se retrouver entre eux dans le milieu scolaire puisque cette union renforce leur attachement, leur intégration et leur motivation (Bazylak, 2002 ; Joncas, 2013 ; Rodon, 2008).

 

Ce lien d’attachement plus marqué au Cégep peut aussi être dû au fait que plusieurs étudiants doivent diner au Cégep pour des raisons de transport. En effet, l’étude de Rodon (2008) sur les besoins et les problématiques d’étudiants autochtones postsecondaires a mis en lumière le désir des étudiants d’accueillir un plus grand nombre d’Autochtones dans leur institution pour créer un milieu scolaire leur étant plus favorable. En dinant au cégep, ces étudiants peuvent donc se familiariser davantage avec leur institution scolaire. Dans le même ordre d’idées, le fait de venir en majorité d’une même communauté fait en sorte que plusieurs d’entre eux se connaissent et se côtoient en dehors du cégep.

 

À l’UQAC, le centre des Premières Nations Nikanite est apprécié par les étudiants autochtones universitaires et ces derniers soulignent qu’il favorise à la fois leur attachement à leur milieu d’étude et leur persévérance scolaire. Certains souhaiteraient mieux le connaitre et le voir plus actif sur le plan de la vie étudiante autochtone. Malgré l’appréciation de ce centre, le sentiment d’appartenance demeure moins grand chez les étudiants autochtones universitaires. Cela peut s’expliquer par le fait que les étudiants proviennent de différentes nations, la taille de l’institution (plusieurs bâtiments, programmes et étudiants) et par le fait que les étudiants participent peu à la vie universitaire en dehors de leurs cours. Ainsi, bien qu’ils indiquent aimer leur université, ils ne s’y impliquent pas pour autant. Le manque de temps soulevé par plusieurs étudiants peut justifier pourquoi ils s’impliquent peu dans les loisirs et la vie étudiante. L’université est alors d’abord perçue comme un lieu de travail. En effet, des étudiants ont précisé que leur lieu de résidence n’était pas nécessairement approprié à l’étude. Il en va de même pour des étudiants du cégep. Différentes raisons ont été soulevées, telles que le surpeuplement dans les maisons des communautés, les enfants qui demandent de l’attention, les colocataires, etc. Les propos des participants portent à croire qu’ils sont intégrés à l’université comme on s’intègre dans un milieu plus formel. La sphère de vie plus sociale n’y prend pas de place et est davantage confinée à la maison, dans la famille ou chez des amis. Ce constat a également été relevé par Joncas (2013) qui souligne que les persévérants autochtones universitaires de son étude perçoivent l’université comme un milieu de travail plutôt qu’un milieu de vie. Selon les résultats de sa recherche, cela s’explique par leur faible appartenance sociale au milieu universitaire. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que ces étudiants sont généralement plus âgés et qu’ils sont plus nombreux à avoir des enfants (Boujot et Kerr, 2007; Guimond, Fonda, Jetté et Sirois, 2012). Ainsi, considérant leurs réalités divergentes, les étudiants autochtones ne se côtoient pas nécessairement. Nous croyons, puisque le tout semble bien fonctionner au Cégep de Baie-Comeau, qu’un local étudiant leur étant destiné pourrait avoir un effet d’attachement envers le milieu universitaire. C’est d’ailleurs l’avis maintes fois constaté et répété par l’AUCC (2012, 2014).

 

1.3 Les perceptions et les relations entre les différents acteurs

Nous verrons dans les prochains paragraphes comment a été décrit l’« étudiant autochtone » de même que les relations que ces derniers entretiennent avec les enseignants et les autres étudiants. Nous aborderons également la sensibilité des acteurs à l’égard de la situation spécifique des étudiants autochtones. Enfin, nous présenterons les relations et perceptions entre les étudiants autochtones et les professionnels.

 

L’« étudiant autochtone » en classe.

            Presque tous les étudiants autochtones se sont qualifiés de « timides » en classe. Cette timidité ne les aide pas à briser l’isolement et le recul en classe qu’ils affirment vivre. Selon les propos des étudiants rencontrés, il est possible de croire que cette timidité est provoquée par la distance culturelle et les différences comportementales perçues avec les étudiants allochtones, de même que leur faible maitrise de la langue française. De plus, les étudiants autochtones se considèrent comme stressés, notamment lors de la période d’examens. La majorité des étudiants ont aussi dit qu’ils se tournaient systématiquement vers leur enseignant lorsqu’ils avaient une question. Les enseignants, quant à eux, constatent que les étudiants autochtones ont tendance à se regrouper entre eux et qu’ils travaillent mieux de cette façon. Ils indiquent qu’ils privilégient les places au fond de la classe et entrent peu en contact avec les étudiants allochtones. Ils apparaissent à leurs yeux comme étant plutôt réservés et discrets. En effet, ils interviennent peu en classe. Des enseignants estiment que ces caractéristiques s’estompent grandement lorsque le groupe est composé uniquement d’étudiants autochtones. Les professeurs ont aussi remarqué le recours à l’humour chez les étudiants autochtones. Les étudiants allochtones rencontrés s’entendent également pour affirmer que, dans la classe, les étudiants autochtones posent peu de questions. Lorsqu’ils ont besoin d’aide, ils se tournent vers leurs comparses autochtones. Même si les étudiants allochtones perçoivent les étudiants autochtones comme étant réservés, timides, en retrait et difficiles d’approche (manque d’ouverture), ils considèrent qu’ils sont motivés. Le rapport de Malatest et autres (2002) a d’ailleurs relevé que cet isolement est l’une des barrières qui nuisent aux études postsecondaires des étudiants autochtones.

 

Nous pouvons supposer que cette timidité est en bonne partie liée à leur situation de minorité dans la classe. En effet, il semble que cette caractéristique s’estompe lorsque la classe n’est composée que d’étudiants autochtones. Tunison (2007) mentionne, dans une analyse sur les indicateurs de réussite de l’apprentissage des étudiants autochtones, qu’ils « ont souvent l’impression d’être sous-représentés au sein des milieux d’apprentissage où ils évoluent en trop petit nombre » (p. 12). Ce constat est également partagé par Rodon (2008) et Joncas (2013). Bazylak (2002) a d’ailleurs affirmé dans une étude de cas sur la persévérance scolaire aux études secondaires que lorsque les étudiants autochtones sont dans des milieux où ils sont plus nombreux, ils unissent leur voix, se soutiennent et se renforcent les uns les autres. À moins que se développent davantage de structures d’études supérieures administrées par des Autochtones, on ne voit pas comment pourrait se résorber cette situation (Gauthier et Blackburn, 2014). Quand c’est possible, certaines institutions organisent des cohortes d’étudiants exclusivement composés d’Autochtones ou créent des programmes spécifiques pour eux, mais ces approches ne font pas l’unanimité.

 

Au sujet de la langue, presque tous les acteurs questionnés perçoivent que les difficultés avec la langue française ont un impact important sur l’expérience scolaire des étudiants autochtone. En effet, les étudiants autochtones apprendraient, par exemple, plus lentement en classe à cause de leurs lacunes avec la langue française. Les enseignants ajoutent que ce serait particulièrement le cas lors de l’explication de concepts abstraits. Rappelons que la langue française est souvent la langue seconde de plusieurs étudiants autochtones qui sont plurilingues. Leurs difficultés avec la langue française se répercutent aussi dans les évaluations, notamment dans les exposés oraux qui représentent un défi majeur pour les étudiants autochtones. Les évaluations font d’ailleurs vivre aux étudiants un stress très élevé qui a des répercussions mentales et physiques. La majorité des enseignants et des professionnels observe un manque de confiance chez les étudiants autochtones envers leur réussite. Nous pouvons penser que les difficultés en français peuvent causer ce manque de confiance discerné par les enseignants et les professionnels. Quelques-uns des enseignants sont conscients de cette situation et utilisent une approche d’enseignement de langue seconde lorsqu’ils travaillent avec des étudiants autochtones. Cette façon de faire est en cohérence avec l’enseignement dans les écoles des communautés qui se fait de plus en plus en s’inspirant de cette approche (Huot, 2010). Déjà en 1972, La Maitrise indienne de l’éducation indienne proposait à cet effet la formation des maitres en enseignement du français ou de l’anglais comme langue seconde.

 

En ce qui a trait aux stratégies d’enseignement, d’apprentissage et d’encadrement, plusieurs des enseignants rencontrés ont spécifié qu’ils les ajustent pour accommoder les étudiants autochtones. Cependant, plusieurs d’entre eux ne savent pas jusqu’à quel point ils doivent s’adapter à eux. D’autres ne reconnaissent pas de différences entre les étudiants allochtones et autochtones et n’adaptent donc pas leurs stratégies d’enseignement pour les étudiants autochtones. Or, plusieurs écrits relèvent des différences importantes entre les étudiants autochtones et allochtones sur le plan des styles d’apprentissage et même dans leur système général de pensée (Battiste, 2005, Fontaine dans Sankhulani, 2007; Friesen et Friesen, 2002). Au final, le questionnement des enseignants s’alimente de deux aspects : la sensibilité qu’ils ont face à la réalité culturelle et linguistique des étudiants autochtones et le principe de la constance et de l’uniformité des standards de réussite en français. Quoi qu’il en soit, si leurs actions visent clairement à favoriser la réussite des étudiants, il y aurait un net avantage à ce qu’ils soient mieux documentés sur certains aspects des habitudes d’apprentissage des Autochtones.

 

Les relations en classe.

Les étudiants autochtones ont généralement de bonnes relations avec leurs enseignants, qu’ils soient autochtones ou allochtones. Pour la majorité des étudiants questionnés, le fait d’aimer ou non un enseignant a un impact direct sur leur réussite scolaire. Les étudiants sont d’avis que les enseignants ne les perçoivent pas différemment des étudiants allochtones. Plusieurs étudiants ont à la fois fait référence à des enseignants avec qui ils ont développé une aisance et un lien de confiance et d’autres avec qui ils ont vécu des expériences négatives. Malgré le fait que leurs relations semblent généralement être positives, elles s’en tiennent principalement à des questions liées au cours, qu’elles soient posées au bureau de l’enseignant, en dehors de la classe (avant, après ou durant la pause du cours) ou par courriel. Les enseignants interrogés affirment en majorité, quant à eux, entretenir de bonnes relations avec les étudiants autochtones, bien que certains trouvent qu’il est parfois difficile de les approcher. Les professionnels ont aussi remarqué que les étudiants autochtones entretiennent de bonnes relations avec les enseignants et que ces relations dépendent davantage des affinités entre les individus que de la différence culturelle. Ces constats sont similaires à ceux de Joncas (2013), de Gauthier (2005) et de Dragon (2007) qui affirment que les étudiants autochtones accordent une place importante aux professeurs dans le développement de leurs apprentissages. D’ailleurs, d’autres auteurs sont d’avis que cette relation positive est importante pour la réussite scolaire des étudiants autochtones (Hampton et Roy, 2002; Smith-Mohamed, 1998; Styres, 2008). Il y a tout lieu de croire que cela n’est pas un problème au sein des deux institutions impliquées dans cette recherche.

 

Les relations entre les étudiants autochtones et les étudiants allochtones varient, quant à elles, en fonction des participants interrogés. Du côté des étudiants autochtones, une majorité d’entre eux raconte qu’ils entretiennent des relations avec un faible nombre d’étudiants allochtones inscrits dans leur programme d’études. Par ailleurs, lorsque le parcours scolaire est interrompu comme cela est souvent le cas pour les étudiants autochtones (Boujot et Kerr, 2007), leurs relations dans leur cohorte initiale s’estompent et elles semblent plus difficiles à établir avec la nouvelle cohorte. Quelques-uns entretiennent des contacts amicaux avec les étudiants allochtones en dehors du contexte scolaire. Il y a aussi des étudiants autochtones qui racontent n’entretenir que très peu ou pas du tout de relations avec les allochtones. Quelques étudiants allochtones perçoivent aussi une réticence de la part des étudiants autochtones qui se traduit par le fait qu’ils préfèrent travailler entre eux. Joncas (2013) a aussi noté que les étudiants autochtones se sentent un peu exclus des groupes d’étudiants allochtones qui, pour plusieurs, se connaissent déjà. Cette exclusion est notamment perçue lors de la formation d’équipes de travail.

 

Il est à noter qu’il en est de même pour les relations des étudiants autochtones entre eux. En effet, Mosholder et autres (2011) observent cette même situation dans leur étude sur la persévérance scolaire d’étudiants autochtones américains au niveau postsecondaire. Comme ils le remarquent : « la communauté des étudiants autochtones est fragmentée. Les étudiants autochtones ne se connaissent pas ou n’interagissent pas avec les autres étudiants autochtones » [traduction libre] (p. 20). Ces auteurs constatent qu’il manque d’unité entre les étudiants autochtones et que les amitiés développées entre eux sont avant tout avec des membres de la même communauté. Dans l’actuelle recherche, cette situation a été davantage remarquée à l’UQAC, car les étudiants y étant inscrits proviennent de plusieurs communautés et nations différentes.

 

Les enseignants remarquent une distance, de la réticence et de l’incompréhension entre les étudiants autochtones et allochtones. Le tout engendre des relations caractérisées comme étant froides. Certains professionnels observent que chacun a tendance à rester avec son groupe ethnique distinct, d’autres estiment que des préjugés existent chez les deux cultures et quelques-uns considèrent avoir observé de bonnes relations, une bonne complicité et un fort respect entre les étudiants autochtones et allochtones. Par ailleurs, des professionnels et des intervenants de la communauté notent que les étudiants autochtones préfèrent fréquenter des étudiants internationaux ou des immigrants plutôt que des étudiants canadiens.

 

Vis-à-vis le travail en équipe, les étudiants autochtones ont précisé l’apprécier. Ce qui est moins apprécié, c’est l’étape de la formation des équipes à cause de la méfiance, de la gêne ou de l’ignorance de part et d’autre. Selon la perception de plusieurs enseignants, les étudiants autochtones ont une mauvaise réputation quant à leur implication dans les travaux et les rencontres d’équipe, ce qui créerait une réticence des étudiants allochtones à travailler avec eux. Cela dit, les étudiants allochtones affirment que leurs collègues autochtones réalisent les tâches demandées et que c’est plutôt la méconnaissance ou les différences culturelles qui bloquent le travail d’équipe. Quelques étudiants allochtones ont précisé qu’ils évitent de se placer en équipe avec des étudiants autochtones, car ils ne les connaissent pas, proviennent d’une autre culture ou parce qu’ils croient que les étudiants autochtones préfèrent demeurer entre eux. D’autres constatent, chez les étudiants autochtones, des difficultés reliées au fait de devoir affronter des préjugés ou d’autres qui découlent de leurs différences culturelles. Un étudiant allochtone remarque un manque d’ouverture de sa propre part et de la part des autres étudiants allochtones envers les étudiants autochtones. Il suppose que ce manque d’ouverture prend sa source dans la honte découlant du passé colonial. Sensoy et DiAngelo (2012) ont relevé, par rapport à ce sentiment, les quatre principales façons dont les « Blancs » agissent quand ils reconnaissent l’oppression exercée sur différents groupes. L’une d’entre elles est ce sentiment de culpabilité qui survient lorsqu’une personne reconnait les torts de son groupe sur un autre (Saul, 2014; Sensoy et DiAngelo, 2012). Le travail en équipe est aussi indiqué par les intervenants de la communauté autochtone comme étant un obstacle à la réussite des étudiants autochtones. La littérature scientifique nous indique toutefois le contraire (Pewewardy, 2002). En effet, la conception de l’apprentissage que se font les étudiants autochtones serait relationnelle. Ainsi, le savoir se créerait dans la relation (Smith, 2012). Comme le souligne Pewewardy (2002), les étudiants autochtones préfèreraient des activités en classe coopératives plutôt que compétitives. Il mentionne que de permettre aux étudiants de travailler en groupe ou en équipe est une bonne stratégie d’enseignement. Toujours selon cette étude, les étudiants autochtones aimeraient aussi être assis en rond et résoudre les problèmes en groupe. Rappelons que des recherches ont souligné que les approches coopératives (moins compétitives) étaient également appréciées des étudiants allochtones (Gauthier, 2005).

 

Nous pensons toutefois que la contradiction apparente entre les données de la recherche et la littérature scientifique à ce sujet aurait avantage à être approfondie. Il faut comprendre que même si la culture pédagogique contemporaine des institutions d’enseignement supérieur reconnait depuis longtemps la valeur euristique du travail en équipe dans les cours, elle le fait généralement dans la perspective socioconstructiviste d’une co-construction des savoirs (Doise et Mugny, 1981; Mugny, 1985; Perret-Clermont, 1979; Perret-Clermont et Nicolet, 1988; Schneuwly, 1986). Ainsi, les applications pédagogiques qui en découlent se préoccupent habituellement de la dimension cognitive de la production et négligent quelque peu sa dimension affective qui est parfois même vue comme un inconvénient ou un désavantage. Autrement dit, la centration est mise sur le produit final plutôt que sur la relation, même s’il lui est parfois réservé une petite partie de l’évaluation. En outre, gardons bien à l’esprit que si le travail en équipe doit idéalement s’effectuer sur la base d’une coopération équilibrée entre ses membres, le cadre pédagogique plus large des cours implique habituellement une compétition entre les équipes, ne serait-ce que par le principe des comparatifs de performance de l’évaluation finale. La dimension compétitive est donc loin d’être extirpée du processus d’apprentissage et reste omniprésente dans l’esprit de chacun. Cette situation peut hypothétiquement expliquer le stress des uns et les réticences des autres.

 

Les expériences relationnelles des étudiants allochtones avec leurs confrères autochtones sont principalement vécues en classe. En effet, la majorité des étudiants allochtones affirme ne pas fréquenter les élèves autochtones à l’extérieur de la classe. Les rencontres à l’extérieur de la classe sont surtout liées au contexte scolaire (ex. : rencontre d’équipe). Certains des répondants n’avaient jamais travaillé en équipe avec des étudiants autochtones puisqu’ils sont réticents à l’idée de travailler avec une personne qu’ils ne connaissent pas ou qui est d’une autre culture. Ceux ayant déjà travaillé en équipe avec des étudiants autochtones ont indiqué que leur expérience s’est avérée, pour la plupart, positive. Une étude de Hare et Pidgeon (2011) sur l’expérience scolaire des jeunes étudiants autochtones démontre qu’ils ont vécu des attitudes négatives et des stéréotypes de la part de leurs pairs allochtones. Ces répondants ne se sentaient pas toujours à leur place.

 

La reconnaissance de leurs spécificités.

L’analyse des données a relevé qu’il y a presque un consensus disant que les enseignants ne perçoivent pas différemment les étudiants autochtones et allochtones. Toutefois, certains étudiants autochtones ont raconté que des enseignants ont été particulièrement sensibles à leur condition culturelle. Par contre, d’autres étudiants indiquent avoir eu à lutter contre certaines idées préconçues de la part de leurs enseignants. Les enseignants se disent quant à eux conscients de la situation spécifique des étudiants autochtones. Cette sensibilité favorise leurs relations avec eux. En plus de la langue maternelle qui est fréquemment autochtone, ils reconnaissent que leur défi d’adaptation découle aussi de l’éloignement géographique et culturel de l’institution d’enseignement par rapport à leur communauté. Certains enseignants croient que la question monétaire est un élément qui entrave énormément le cheminement scolaire des étudiants autochtones. Outre les difficultés financières, ils savent que le soutien financier des communautés que reçoivent plusieurs de ces étudiants vient avec des contraintes, notamment le fait de devoir poursuite des études à temps plein pour répondre aux exigences requises. Le rapport de Malatest et autres (2002) soutient, dans cette même optique, que les conditions découlant de l’aide financière, telles les études à temps plein, représentent un facteur de décrochage scolaire des étudiants autochtones à l’enseignement postsecondaire, notamment pour les étudiants en début de programme. Nous pensons que les autorités fédérales responsables de l’éducation des Autochtones, de même que les dirigeants des communautés autochtones, doivent alimenter la réflexion à ce niveau.

 

Certains professeurs universitaires sont informés que les étudiants autochtones ont tendance à être plus vieux que la moyenne, que plusieurs font un retour aux études et/ou sont parents. Au collégial, les enseignants perçoivent, entre autres, que les difficultés financières, le défi du transport quotidien entre la communauté et le cégep et le contexte familial problématique en raison des maisons surpeuplées caractérisent la situation des étudiants autochtones et influent négativement sur leur réussite. De plus, le milieu de vie défavorisé des communautés et les problèmes psychosociaux qui s’y rattachent sont les principaux facteurs de démotivation qui sont ressortis le plus fréquemment pour ces élèves. Cependant, même s’ils sont réceptifs aux difficultés vécues par les jeunes autochtones et qu’ils s’efforcent de les aider, certains enseignants ne comprennent pas toujours leur réalité, la nature de leurs comportements, leur contexte de vie, le fait qu’ils proviennent d’une autre culture et le fait qu’ils aient une langue maternelle différente du français. En conséquence, nous ne pouvons que redire l’importance d’activités de formation et d’information sur la réalité autochtone dans les cégeps et les universités.

 

Les professionnels croient, quant à eux, que la relation entre les étudiants autochtones et leur enseignant dépend grandement de la personnalité de ces derniers. Ils ajoutent que si certains enseignants et collègues connaissent les conditions des communautés et la situation des étudiants autochtones, d’autres en sont moins sensibles. La plupart des professionnels rencontrés adaptent leurs services à cette clientèle.

 

Dans une moindre mesure, les étudiants allochtones reconnaissent également la situation spécifique des étudiants autochtones qui leur demande de grands efforts. La majorité des étudiants allochtones croit que les études postsecondaires représentent un plus grand défi d’apprentissage pour les étudiants autochtones que pour eux-mêmes. Nombre d’entre eux ont précisé que la différence n’est absolument pas due à une intelligence inférieure, mais qu’elle s’explique plutôt par des difficultés d’apprentissage découlant de trois principaux facteurs : l’influence d’éléments culturels autochtones, le français en tant que langue seconde et les différences dans les acquis académiques faits dans les écoles primaires et secondaires dans les communautés. Les étudiants allochtones ont aussi noté que leurs difficultés liées à leur vie personnelle, leur famille et leur communauté influencent négativement leurs apprentissages.

 

Tous les groupes répondants ont révélé que le milieu de vie défavorisé des populations autochtones peut nuire à l’expérience scolaire des étudiants autochtones. En cela, on peut dire qu’il y a une prise de conscience de tous les acteurs des institutions sur cette situation désavantageuse pour les étudiants autochtones. En plus de constituer un environnement peu propice à l’étude (surpeuplement, surveillance des enfants, etc.), il entrave le cheminement scolaire des étudiants autochtones à cause des problèmes psychosociaux qui y sont vécus par les membres de leur famille et de leur communauté. Cette question est bien documentée dans la littérature. Outre la faible scolarité bien documentée dans la première partie de ce rapport (Statistique Canada, 2013), le rapport sur les droits à l’égalité des Autochtones de la Commission canadienne des droits de la personne (2013) montre que, comparés aux Allochtones, les Autochtones du Canada, ont des revenus médians après impôt moins élevé, risquent davantage de ne pas se trouver un emploi, sont plus susceptibles de toucher des prestations d’assurance-emploi et d’aide sociale, risquent davantage de vivre dans un logement nécessitant des réparations majeures, risquent davantage d’être victimes de violence physique, émotionnelle ou sexuelle, etc. Quant à la santé, tant physique que psychologique, les écarts entre les Autochtones et les Québécois sont considérables (CSSSPNQL, 2008). En effet, par exemple, l’enquête de la CSSSPNQL (2008) indique que 74,7 % des répondants autochtones de 18 ans et plus ont un indice de détresse psychologique faible à modéré, tandis que 25,3 % d’entre eux ont un indice de détresse psychologique élevé (selon l’échelle de Kessler [K10]). La consommation de drogue est aussi particulièrement préoccupante. Chez les 18 à 34 ans, 56,4 % des répondants se considèrent comme des utilisateurs. Cette prévalence diminue ensuite avec l’âge. Les auteurs notent qu’il y a plus de consommateurs d’alcool et de drogues parmi les gens ayant des troubles de santé mentale ou ayant expérimenté certains traumatismes (violence, abus, placement en famille d’accueil). Que dire devant cette situation sinon que de rappeler l’inégalité des chances devant l’éducation pour les jeunes Autochtones?

 

L’utilisation des services des professionnels.

Les étudiants autochtones insistent pour dire que les intervenants et les professionnels les accompagnent, les écoutent, les aident et sont déterminants pour leur persévérance. C’est donc fondamental que les institutions les conservent et même les améliorent, comme l’AUCC (2012, 2014) le recommande d’ailleurs. Bien que les étudiants autochtones se disent informés de l’offre de services professionnels et qu’ils l’apprécient, peu ont déjà ressenti le besoin de les utiliser. Ainsi, leur relation avec les professionnels en est une de surface. Les étudiants ont souligné qu’ils n’ont pas utilisé ces services parce que l’occasion n’est pas survenue et non parce qu’ils ne se sentaient pas à l’aise de le faire. Les répondants ayant eu l’occasion d’utiliser les services semblent se tourner d’abord vers leurs proches (colocs, famille, conjoint, amis). L’enquête régionale sur la santé des Premières Nations du Québec de la CSSSPNQL (2008) a aussi noté que la majorité des adultes se tourne vers les amis (70,1 %), la famille proche (69,3 %) ou élargie (58,6 %) plutôt que vers un professionnel de la santé lorsqu’il cherche du support.Les quelques étudiants autochtones qui ont eu recours aux services professionnels se disent satisfaits du soutien reçu. Les études de Joncas (2013) et de Rodon (2008) ont également mis en relief que les étudiants postsecondaires autochtones interrogés ne semblaient pas utiliser les services universitaires. De plus, contrairement à notre recherche, Rodon (2008) a constaté qu’ils ne se sentaient pas vraiment à l’aise d’utiliser les ressources universitaires existantes pour les étudiants en général à cause d’un manque de reconnaissance culturelle. La situation semble manifestement plus positive dans les deux institutions concernées par cette étude, bien qu’il semble y avoir un peu plus de distance dans le milieu universitaire.

 

Du côté des professionnels, leurs relations avec des étudiants autochtones se sont avérées en majorité positives, bien que quelques professionnels aient vécu des complications. En général, les professionnels estiment que les étudiants autochtones sont gênés. Quelques-uns soulignent qu’une fois la gêne passée, ils sont plus démonstratifs et dégagent une approche globale humainement riche. Ils notent aussi que les étudiants autochtones semblent avoir une vision différente de la vie, plus holistique, en accordant une grande importance à l’humain et à la famille. L’enquête de la CSSSPNQL (2008) a démontré que les valeurs familiales (58,1 %) sont le plus souvent considérées par les adultes comme la principale force de leur communauté. Comme nous le verrons dans la partie suivante, cela concorde avec la conception de l’apprentissage tout au long de la vie des Autochtones (Conseil canadien sur l’apprentissage, 2010b). Des étudiants allochtones croient que les étudiants autochtones évitent de consulter ces ressources puisqu’ils craignent de renforcer certains préjugés véhiculés à leur sujet.

 

Conclusion

 

D’un point de vue global, les relations entre les différents groupes d’acteurs questionnés sont qualifiées de positives et constituent un terrain fertile pour le dialogue. Nous ne retrouvons pas de position clairement raciste et nous ne sentons pas de forts sentiments de rejet. De plus, la situation spécifique des étudiants autochtones est reconnue et est prise en compte dans les relations, notamment chez les enseignants. Les acteurs allochtones conçoivent que les étudiants autochtones aux études supérieures, lorsqu’ils les comparent aux Allochtones en général, sont aux prises avec d’importants défis liés à leurs conditions d’étude. Certains diraient qu’ils sont des « résilients », mais disons pour le moment qu’ils sont de vrais « persévérants » quand nous pensons à tous les défis qu’ils doivent relever (éloignement de la communauté, lacunes avec la langue française, retour aux études, conciliation études-famille, problèmes d’intégration, problèmes personnels et familiaux, manque de confiance, etc.).

 

Cependant, les relations semblent minimales, c’est-à-dire peu profondes ni significatives, entre les Autochtones et les acteurs allochtones. À la lumière de ces données, les étudiants autochtones semblent isolés et avoir des problèmes d’intégration. Ils font la plupart du temps cavalier seul et trouvent le soutien dont ils ont besoin majoritairement auprès de leurs proches, particulièrement à l’université. Nous ne pouvons certainement pas encore parler de « concitoyenneté institutionnelle » (Leroux, 2011). Il y a toujours beaucoup d’incompréhension et d’ignorance de part et d’autre, et ce, surtout de la part des étudiants allochtones, même si nous sentons que chacun est de bonne foi. D’ailleurs, les étudiants allochtones ont nommé ces réticences lorsqu’ils soulèvent leurs craintes à travailler avec des étudiants autochtones. Tremblay (dans Lévesque et Labrecque, 2007) rappelle qu’un étudiant autochtone doit composer avec les incompréhensions et les attitudes parfois déplacées des autres étudiants, et même de certains professeurs, qui ne comprennent pas leur réalité passée, présente et future. Elle ajoute qu’ils doivent composer avec des contenus de cours et des discussions dans lesquels le contenu est biaisé ou passéiste et leurs contributions sont parfois trivialisées ou jugées non importantes par le professeur et les autres étudiants. Notre recherche ne permet pas de confirmer cela, sans pour autant l’infirmer. Mais il est clair que si les milieux institutionnels étaient mieux documentés, mieux informés sur l’histoire et la réalité autochtones, il y aurait davantage de sensibilité culturelle de la part de tous les acteurs, et particulièrement des enseignants. Il est encore tôt pour l’affirmer de façon indiscutable, mais on sent un tel effet chez plusieurs enseignants du Cégep de Baie-Comeau ayant suivi de près les activités entourant le projet d’élaboration du Guide d’intervention institutionnelle.

 

            Nous avons aussi été sensibilisés aux nombreuses différences entre la communauté autochtone et le milieu d’étude. Ainsi, nous pouvons croire qu’il est compréhensible que les étudiants ressentent un manque de préparation à leur entrée aux études postsecondaires. Ils changent de système de pensée, passant d’une école avec une vision autochtone à un cégep ou une université avec une vision eurocentrique. De plus, le français devient la langue d’utilisation courante. Cette langue est d’ailleurs la langue maternelle de la plupart des acteurs scolaires. Suivant cela, il nous semble normal que les étudiants autochtones ressentent le besoin de faire un certain rattrapage et que les acteurs du milieu scolaire perçoivent des différences entre les étudiants autochtones et allochtones sur ce plan. Encore une fois, l’idée d’une année de transition vers les études supérieures pour les Autochtones nous semble pertinente.

 

En ce qui a trait à la connaissance et l’utilisation des services institutionnels (services de travail social, de psychologie, d’aide en français, de conseil en orientation), les enseignants, les professionnels et les étudiants allochtones croient que les étudiants autochtones ont une réserve quant à leur utilisation et/ou que ces services sont peu adaptés à leurs besoins. Toutefois, les étudiants autochtones disent connaitre ces ressources, mais les utilisent peu, car ils n’en ont pas ressenti le besoin. Ils affirment qu’ils les utiliseront si l’occasion se fait sentir.

 

2. Des éléments de divergence conceptuelles entre Autochtones et Allochtones

 

Les méconnaissances et les préjugés nuisent aux relations entre les acteurs scolaires et les étudiants autochtones, tant au cégep qu’à l’université. En effet, les données recueillies relèvent peu de discordances entre les perceptions des différents acteurs. Cela dit, certains concepts importants font l’objet de divergences entre la perception autochtone et celle allochtone. Il s’agit de la conception du temps, de l’apprentissage et de la réussite. De plus, des répondants ont soulevé la méconnaissance de certains acteurs concernant la condition autochtone. Dans le souhait d’améliorer les relations entre les acteurs interrogés, nous croyons qu’il est pertinent de mettre en lumière ces différences et d’expliquer sommairement leurs sources potentielles. Ces explications nous aideront à comprendre le sens que l’étudiant autochtone donne à son expérience aux études postsecondaires, qui est l’un de nos objectifs d’étude. Par ailleurs, nous avons trouvé important d’inclure une réflexion sur les allusions des groupes de répondants sur la présence de discriminations (certains ont parlé de racisme) dans l’expérience postsecondaire des étudiants autochtones.

 

2.1 La conception du temps

 

Un premier élément conceptuel a retenu notre attention. Il s’agit de la conception du temps des étudiants autochtones. Plusieurs des répondants ont souligné que les étudiants autochtones ont des problèmes de gestion du temps. Il a été soulevé, entre autres, que les étudiants autochtones rendent fréquemment leurs travaux après la date de remise ou arrivent en retard aux cours. Nous croyons que cette perception peut être expliquée par une cause situationnelle et une cause culturelle. La cause situationnelle peut prendre sa source dans le fait que plusieurs des étudiants autochtones questionnés sont parents d’un ou plusieurs enfants. En effet, la conciliation études-famille demande une gestion du temps plus serrée. Puisque la famille demeure la priorité des étudiants autochtones consultés, le temps restant pour les études est parfois insuffisant et les conséquences se répercutent sur le rendement scolaire. Par ailleurs, le temps passé dans les transports des étudiants du Cégep qui habitent toujours dans la communauté et qui doivent voyager pour poursuivre leurs cours occupe une grande place, ce qui diminue le temps passé à l’étude. D’un point de vue culturel, Basile et autres (2014) expliquent que la notion du temps des Premiers Peuples est interprétée selon un mode de vie basé sur les activités pratiquées en fonction des saisons et du climat. Leur conception est plus circulaire, comme le sont les saisons. Pour les acteurs allochtones, la notion du temps est dictée par le calendrier scolaire et est plus linéaire.

 

Que proposer face à cette situation? Dans la perspective théorique du présent projet de recherche, qui vise l’intercompréhension entre les différents acteurs impliqués dans la scolarisation supérieure des étudiants autochtones, nous aurions tendance à suggérer que les uns et les autres se sensibilisent davantage à la vision et aux préoccupations de chacun. Si nos résultats semblent démontrer un mouvement clair en ce sens, il reste d’importants efforts à fournir. Certains professionnels et professeurs ayant assisté à des séances d’information sur le triste épisode des « pensionnats indiens » et ses conséquences ont admis que ce documentaire les avait beaucoup conscientisés et avait contribué à modifier leurs approches auprès des étudiants autochtones. Nous pensons qu’il y aurait lieu de multiplier ces activités de sensibilisation auprès des communautés cégépienne et universitaire. En effet, bien que nous ayons constaté beaucoup d’ignorance auprès de ces communautés sur la question autochtone, elles semblent avoir une ouverture d’esprit propice à la réflexion.

 

Par ailleurs, des mesures d’accompagnement au travail scolaire sont mises à la disposition des étudiants autochtones, mais elles ne sont pas utilisées à leur plein potentiel. Il nous semblerait simpliste (pour ne pas dire ethnocentrique) de blâmer uniquement l’étudiant autochtone pour cette situation puisque ce serait une interprétation fallacieuse du concept de « culture de la pauvreté » de Lewis (1963). Ce concept consiste à condamner la victime elle-même pour ce qui lui arrive. Par contre, il est clair que ces formations au travail intellectuel sont nécessaires pour plusieurs étudiants autochtones. Il faut donc trouver un moyen de les inciter davantage à les suivre, en octroyant, par exemple, des crédits de cours reconnus à l’intérieur de leurs programmes de formation.

 

2.2 La conception de l’apprentissage et de la réussite

 

Questionnés à propos de leur conception de l’apprentissage, les étudiants autochtones interrogés ont précisé que pour apprendre, l’apprenant doit faire des erreurs, être corrigé et orienté par son professeur. Nous avons aussi constaté que l’apprentissage, pour la plupart d’entre eux, est associé aux acquis académiques de la sphère scolaire, mais aussi à tous les acquis des diverses sphères de leur vie. En effet, ils estiment qu’ils apprennent tout le temps et que cela fait partie de leur processus de croissance personnel. Pour eux, toutes ces connaissances serviront, un jour, à leur communauté. En fait, leur vision de l’apprentissage est souvent empreinte d’une dimension communautaire. Sankhulani (2007) explique que la façon d’enseigner et d’apprendre chez les Premiers Peuples est différente de celle des Eurocanadiens. Les Premiers Peuples ont une vision plus holistique et l’apprentissage est perçu comme un processus qui se continue tout au long de la vie. Cela semble correspondre aux données de notre recherche, mais cette catégorie perceptuelle n’a pas été très approfondie.

 

Chez les enseignants, une minorité affirme qu’il n’y a pas de différences entre la façon d’apprendre d’un Autochtone et d’un Allochtone sur le plan des capacités cognitives. Plusieurs relèvent néanmoins des différences d’ordres culturel et social. Certains diront que l’apprentissage « autochtone » se fait dans la façon traditionnelle, c’est-à-dire en suivant les ainés, en s’initiant à la survie en forêt, en fabriquant des pièges ou des canots, en observant les autres. Or, paradoxalement, il semble que peu des étudiants autochtones rencontrés participent à ce genre d’activités traditionnelles. Plus précisément, la majorité des étudiants autochtones se considèrent comme étant traditionalistes d’esprit, mais ayant un mode de vie du 21e siècle puisqu’ils vivent dans un monde moderne. Il reste que plusieurs professeurs indiquent utiliser des techniques d’enseignement différentes pour les étudiants autochtones en raison de leurs stratégies d’apprentissage spécifiques. Les techniques utilisées sont : ralentir le débit, faire plus de synthèse, rechercher un contact visuel, être plus permissif sur les dates de remises, intégrer la culture autochtone dans le cours et laisser place à des interventions individuelles pendant les pauses ou après les cours. Ils soulèvent également l’importance de mettre en pratique les notions vues en classe et de favoriser le travail en équipe.

 

Les enseignants qui adaptent leur style d’enseignement aux étudiants autochtones ont fait preuve d’une intuition heureuse en ayant une perception assez juste de leur façon d’apprendre. Plusieurs auteurs croient en effet que toute approche d’enseignement qui implique des étudiants autochtones doit être adaptée à leur situation spécifique et à leurs styles d’apprentissage, que ce soit en appliquant des techniques d’enseignement particulières ou en développant des contenus de cours et de programmes culturellement sensibles, etc. (Colomb, 2012; Demers, 2010; McMullen et Rohrbach, 2003; Pewewardy, 2002; Timmons, 2009; Tremblay dans Lévesque et Labrecque, 2007). Généralement, une approche holistique culturellement sensible centrée sur la relation (« plus humaine » diraient certains) devrait être privilégiée pour favoriser leur réussite (Demers, 2010). Pewewardy (2002) mentionne que l’apprentissage des étudiants autochtones est fortement ancré dans leur langue, leur culture et leur héritage. Cette réalité fait que leur façon d’apprendre, bien qu’elle soit différente, n’est pas déficiente. Dans sa revue de la littérature sur les théories, recherches et modèles des styles d’apprentissage des Autochtones aux États-Unis, il précise que leur style est caractérisé par un accent mis sur les relations sociales et affectives, l’harmonie entre les gens, les perspectives holistiques, l’expression de la créativité et la communication non verbale. Si l’on se fie à nos données, on constate que les enseignants des deux institutions sont sensibles à cette réalité et font des efforts pédagogiques appropriés. Le contexte d’enseignement universitaire habituel, qui n’implique jamais plus que quelques étudiants autochtones par groupe-cours, est toutefois moins propice à des adaptations pédagogiques majeures de la part des enseignants.

 

En ce qui a trait à l’évaluation des apprentissages, deux grandes différences sont relevées par Sankhulani (2007) entre l’enseignement autochtone et l’enseignement eurocanadien. Il s’agit d’abord du fait que les Autochtones respectent les différences individuelles dans les limites des normes culturelles. En lien avec cette première différence, les apprenants ne sont donc pas censés apprendre de la même façon ou à la même vitesse que leurs pairs. Ils sont plutôt considérés comme étant dans un processus d’apprentissage qui leur est propre et qui se poursuivra tout au long de leur vie. À mesure qu’ils grandissent, leurs talents se développent à leur rythme et ces talents bénéficieront non seulement à eux-mêmes, mais aussi à l’ensemble de leur communauté (Friesen et Friesen, 2002). Les études en enseignement supérieur laissent peu de place à cette conception autochtone de l’apprentissage et les étudiants autochtones se voient contraints d’adopter un style d’apprentissage plus rigide fondé sur le rythme « normal » occidental (Fontaine dans Sankhulani, 2007). Malgré la sensibilité culturelle manifestée par plusieurs professeurs des deux institutions faisant l’objet de cette étude, il est certain qu’en tant que groupe étudiant minoritaire, les jeunes Autochtones ressentiront beaucoup de pression à s’adapter aux pratiques d’enseignement-apprentissage de la société majoritaire.

 

Ce que les Autochtones considèrent comme le sens de l’apprentissage et de l’enseignement chez les Premiers Peuples est bien schématisé dans le modèle holistique de l’apprentissage tout au long de la vie des Premières Nations (Conseil canadien sur l’apprentissage, 2010b). Ce modèle est défini par deux cercles à la figure 10. Le premier cercle témoigne de trois caractéristiques principales de l’apprentissage des apprenants autochtones. Il s’agit des sources et des domaines du savoir variés, de l’apprentissage tout au long de la vie et de la visée du bienêtre des communautés. Le second cercle correspond aux anneaux d’apprentissage. Au centre, les quatre dimensions du développement de la personne sont représentées (spirituelle, affective, physique et mentale). Autour, les anneaux montrent comment l’apprentissage est un processus de toute une vie dans des lieux structurés ou non. Ce modèle exprime bien la dimension cyclique et régénératrice de l’apprentissage chez les Premiers Peuples, ainsi que le fait qu’il provient de nombreuses sources et qu’il est enraciné dans les langues et les cultures autochtones (Conseil canadien sur l’apprentissage, 2009).

 

Modèle holistique d’apprentissage tout au long de la vie des Premières Nations (Conseil canadien sur l’apprentissage, 2010b).

Modèle holistique
La vision dégagée par ce modèle holistique d’apprentissage tout au long de la vie correspond aussi à la conception de la réussite scolaire chez les Premiers Peuples. En effet, presque tous les répondants ont noté une différence quant à leur conception de la réussite et celle des étudiants allochtones. L’idée qu’ils s’en font converge vers ce modèle. Pour les étudiants autochtones, la réussite scolaire est importante puisqu’elle va de pair avec la réussite de leur vie personnelle en permettant d’accéder à une carrière intéressante et de contribuer positivement à la communauté. La réussite n’est d’abord pas liée à un diplôme ou à une note pour un travail ou un cours, elle est davantage liée au labeur accompli à l’intérieur d’une formation. Par exemple, le fait d’avoir un parcours scolaire empreint d’embuches et de tout de même persévérer est associé, pour eux, à la réussite scolaire. La réussite scolaire n’est pas plus valorisée que la réussite dans d’autres sphères de la vie, comme la famille. Pour les intervenants de la communauté, la réussite dans le sens autochtone signifie survivre, s’accomplir et être une bonne personne. Cela se traduit, dans le milieu scolaire, par le fait que la réussite est davantage associée au travail et non à la note. Ces intervenants ajoutent que la notion de performance n’a pas autant d’importance dans la culture autochtone que dans la culture occidentale. Ils affirment qu’échouer à l’école ne signifie pas échouer sa vie. Plusieurs enseignants ont la perception que, pour les étudiants autochtones, la réussite scolaire ne se définit pas comme chez les étudiants allochtones. Ainsi, ils croient que le fait de persévérer en lui-même est synonyme de réussite, et que cela leur permettra d’aider leur famille et leur communauté dans un avenir plus éloigné. Ils reconnaissent ainsi que la réussite n’est pas associée au résultat académique, mais plutôt au fait de poursuivre des études postsecondaires, la compétition scolaire étant fort peu prise en compte. Cela est congruent avec la conception des étudiants allochtones et des professionnels qui considèrent que, pour les étudiants autochtones, les études postsecondaires représentent une réussite scolaire en soi. Certains participants l’interprètent plus sobrement en supposant que la réussite scolaire est moins valorisée dans la culture autochtone que dans la culture allochtone. Nous pensons que l’explication véritable est beaucoup plus complexe et nuancée.

 

En ce qui a trait à l’échec, les étudiants autochtones le considèrent comme une étape normale du processus d’apprentissage. Ils aimeraient que leurs parents et enseignants soient sensibilisés à cette conception, car ces derniers la perçoivent plutôt comme étant négative. Cette incompréhension entraine des tensions et des disputes. Pour les étudiants interrogés, par exemple, le décrochage scolaire n’est pas un échec. Toutefois, il en est un pour les intervenants de la communauté autochtone qui ne saisissent pas toujours bien les obstacles que doivent franchir les étudiants. Il s’agirait, pour les étudiants, d’un moment de réflexion qu’ils s’accordent pour planifier leur avenir ou régler une situation personnelle qui apparait prioritaire à ce moment de leur vie. Pour les intervenants, le décrochage n’est pas associé à un manque de volonté des étudiants de réussir et d’obtenir de bonnes notes, il est plutôt associé à une crise d’identité provoquée par le choc culturel. Il ne faut toutefois pas croire que cette conception de l’échec pour les étudiants signifie qu’il est facile à vivre. Tous les étudiants autochtones affirment que l’échec est vécu très difficilement. Les enseignants et les professionnels considèrent, eux, l’échec dans sa conception occidentale, en lui donnant un sens négatif de non-réussite, plutôt qu’une étape possible et acceptable vers la réussite telle que comprise par les étudiants autochtones.

 

Il en résulte que pour la majorité des acteurs interrogés, la conception de la réussite scolaire pour les étudiants autochtones est bien saisie, ce qui n’est pas le cas pour l’échec. Cette manière de percevoir la réussite scolaire est bien définie par Montgomery et autres (2000) :

 

[…] bien que d’obtenir de bonnes notes et de terminer ses études postsecondaires soit mentionné comme étant un indicateur de réussite aux études postsecondaires, la notion de réussite comprise en terme de réussite personnelle a davantage priorité. Ainsi, la diplomation elle-même ne représente pas le succès autant que le processus pour se rendre à terme de leurs études. Il semble alors que les études postsecondaires représentent plus pour les participants que le seul fait d’obtenir un grade académique [traduction libre] (p. 394).

 

La Commission de l’éducation du Québec (2007) va en ce sens lorsque les auteurs expliquent que la conception occidentale de la réussite va de pair avec les résultats scolaires, alors que la conception autochtone ne se mesure pas seulement par une note, mais davantage en termes de persévérance. Ainsi, ce rapport précise que la vision de la réussite est plus perçue comme étant holistique que comptable (Bergeron et Rioux, 2007).

 

2.3 La méconnaissance, terreau des préjugés et de la discrimination

 

            La question des préjugés et des discriminations a été très peu évoquée dans le discours des répondants. Du côté des étudiants autochtones, certains ont parfois le sentiment que les enseignants et les étudiants allochtones les perçoivent comme étant incapables de réussir considérant leurs racines autochtones. Les intervenants de la communauté autochtone sont plus sévères et avancent que les étudiants autochtones subissent encore les contrecoups de l’histoire et sont victimes de racisme. L’ignorance et l’indifférence des étudiants allochtones envers les étudiants autochtones sont parfois décrites comme étant une forme de racisme par ces derniers qui se sentent marginalisés. Cette marginalisation est ressentie par les étudiants autochtones. Une faible partie des enseignants ont indiqué avoir observé des comportements ou entendu des propos racistes et déplacés de la part de leurs pairs. Ils affirment par contre en plus grand nombre que les étudiants autochtones seraient parfois victimes de rejet de la part des étudiants allochtones, tout en se montrant hésitants à entrer en relation avec eux. Quelques étudiants allochtones croient également que les étudiants autochtones vivent des difficultés d’intégration dues à des préjugés et à un manque d’ouverture de la part de leurs confrères allochtones.

 

Ces résultats portent à croire qu’une certaine forme de rejet de l’autre et de discrimination perdure au cœur des relations entre les acteurs allochtones et les étudiants autochtones, malgré une ouverture générale de part et d’autre. Hare et Pidgeon (2011) ont fait une recherche sur l’expérience scolaire de 29 jeunes autochtones âgés entre 16 à 19 ans de deux communautés du nord de l’Ontario. Ces jeunes ont partagé leurs réflexions sur l’école secondaire publique à l’intérieur et à l’extérieur de la réserve. Ils affirment avoir rencontré plusieurs défis à l’école. L’un des résultats les plus saillants de leur étude est que le racisme, tant individuel que structurel, est vécu dans leurs interactions avec leurs pairs et leurs enseignants. Ils expliquent cette réalité, entre autres, par le sentiment d’inconfort dégagé par leurs pairs et leurs enseignants envers eux, qui leur fait sentir qu’ils ne sont pas à leur place à l’école. Plusieurs autres recherches ont décrit des incidences de discrimination sur les étudiants autochtones au Canada sur plusieurs plans : les stéréotypes et les attitudes négatives tenues par les étudiants allochtones et les enseignants (Deyhle, 1995; Hare, 2001; Dunn, Forrest, Burnley, et McDonald, 2004), la formation des enseignants qui ne permet pas à ces derniers d’avoir une posture critique face aux inégalités (Hickling-Hudson, 2003) ou les curriculums qui stéréotypent et/ou marginalisent les Premiers Peuples (Hickling-Hudson et Ahlquist, 2003; Kanu, 2011; Schissel et Wotherspoon, 2003). Bougie, Kelly-Scott et Arriageda (2013) ont relevé dans leur étude chez les Autochtones vivant hors-réserve que le racisme avait eu un impact dans la dernière année scolaire de 40 % des répondants décrocheurs et 30 % des répondants finissants.

 

Ces résultats ne sont que partiellement cohérents avec notre recherche étant donné qu’une attitude ouvertement discriminante n’a été observée que chez quelques répondants seulement et que ce constat n’a été prédominant chez aucune catégorie d’acteur. Nous pouvons l’expliquer par différents facteurs. L’un de ceux-ci concerne une limite importante de notre recherche liée à l’échantillon volontaire et statistiquement non représentatif. Il est probable que plusieurs des répondants qui avaient accepté de participer à notre recherche avaient une attitude à la base empathique à la situation vécue par les étudiants autochtones et il est évident que nos résultats ne peuvent être généralisés. Le contexte de la recherche joue également sur la nature des résultats d’une telle enquête. Il est en effet reconnu que les individus plus instruits ont généralement davantage d’ouverture face à l’autre, face à la différence et qu’ils sont en même temps plus prudents dans l’expression de leur opinion véritable, s’ils pensent qu’elle peut heurter l’interlocuteur. Il reste qu’on doit reconnaitre une ouverture d’esprit certaine qui transparait généralement des propos tenus par la majorité des participants à la recherche.

 

Dans un autre ordre d’idées, certaines opinions fortement partagées dans le discours des répondants nous amènent à nous interroger sur les différentes causes possibles de la faible confiance des étudiants autochtones face à leur réussite scolaire. En effet, les étudiants, les enseignants et les professionnels ont tous noté ce manque de confiance. Nous devons réfléchir à l’idée que cette caractéristique des étudiants autochtones puisse en partie s’alimenter d’une certaine forme de préjugé internalisé qui se réfère à l’intégration, parfois intentionnelle, d’un message collectivement dévalorisant. Ce genre d’image un peu caricaturale et souvent discriminatoire, partagé par les groupes dominants, circule constamment dans la société (Mark dans Lévesque et Labrecque, 2007; Sensoy et DiAngelo, 2012; St-Denis, 2007; Weber, 1998). Ainsi, le groupe opprimé ou tout au moins minoritaire, dans notre cas les étudiants autochtones, en vient à adhérer au jugement préconçu. Dans ce cas-ci, l’image contribue à alimenter la croyance populaire que les Autochtones ne peuvent pas réussir à l’école (Battiste, 2010). Saul (2014) et Battiste (2013, 2010) ont déjà fait cette constatation et estiment que le phénomène émane directement du jugement raciste des colonisateurs qui percevaient les Premiers Peuples comme étant inférieurs aux Européens et, plus actuellement, au rejet des institutions d’enseignement supérieur du système de pensée autochtone dans leurs structures et leurs enseignements (Henry et Tator, 2009; Kanu, 2007; Kerr, 2014; Monture, 2009; St-Denis, 2007; White, Beavon, Peters et Spence, 2009). Kerr (2014) considère que l’enseignement supérieur au Canada continue de supporter et de perpétuer des structures coloniales à travers l’épistémique monoculture en place, basée sur l’eurocentrisme matérialiste scientifique. La vision du monde eurocentrique des établissements postsecondaires endosserait la conception d’un monde autochtone inférieur, en légitimant la supériorité des savoirs occidentaux. Cette perception des savoirs devient ainsi internalisée chez les étudiants autochtones eux-mêmes qui en viennent à douter de leur capacité à réussir dans ce système (Battiste, 2013). Comme l’indique Battiste (2013), « […] l’éducation, comme les autres institutions et sociétés dans lesquelles elle est inscrite, n’est jamais neutre ou juste. L’éducation est plutôt une institution culturellement et socialement construite dans un contexte où les objectifs sont définis par ceux qui ont le privilège de décider » [traduction libre] (p. 159). D’ailleurs, encore aujourd’hui, les Autochtones sont rarement engagés pour des postes décisionnels, quoiqu’ils soient de plus en plus présents sur les tables de décision dans les institutions d’enseignement supérieur (Gauthier et Blackburn, 2014).

 

Conclusion

 

Même si chacune des catégories d’acteurs démontre généralement une ouverture assurée les unes envers les autres et que chacun est bien intentionné, les idées dégagées dans cette section portent à croire qu’il existe une importante méconnaissance entre eux; cela confirme d’ailleurs notre postulat de base. Cependant, ces conceptions fausses ou incomplètes n’ont pas été fréquemment relevées et leurs impacts ne semblent pas avoir nui trop fortement à la persévérance et à la réussite scolaires des étudiants autochtones interrogés. Les difficultés rencontrées par les Autochtones sont de multiples sources.

 

D’un point de vue macrosociologique, les difficultés scolaires des étudiants autochtones peuvent en partie être comprises comme venant d’inégalités structurelles qui prennent racine dans le passé historique de la colonisation des Premiers Peuples et leur perpétuation sous d’autres formes dorénavant. D’un point de vue microsociologique, les relations entre les acteurs du système scolaire démontrent une ouverture certaine vers l’Autre et des tentatives pour amoindrir les inégalités structurelles, notamment par des initiatives des enseignants, des institutions (p.ex. : comité innu activités culturelles et sportives) et des centres de services pour les Autochtones. Cependant, il reste plusieurs besoins en termes de connaissances de part et d’autre afin d’en arriver à une meilleure réussite des étudiants autochtones. Nous croyons qu’il serait pertinent que les acteurs allochtones du milieu scolaire comprennent mieux les dynamiques de pouvoir en place et leurs impacts sur la scolarisation des étudiants autochtones (Battiste, 2013; St. Denis, 2007). Si cette problématique sociohistorique n’est pas approfondie au sein des institutions d’enseignement supérieur qui accueillent des étudiants autochtones en situation minoritaire, elles ne pourront pas soutenir efficacement les étudiants autochtones (Battiste, 2013; Cleary et Peacock, 1998).

 

3. Des suggestions pour améliorer l’expérience scolaire des étudiants autochtones aux études postsecondaires

Cette partie propose des idées pour améliorer l’expérience scolaire des étudiants autochtones au niveau postsecondaire, pour favoriser leurs relations avec les acteurs allochtones et pour engendrer un dialogue plus juste et plus harmonieux. Cela cadre dans quatre des objectifs de la recherche qui étaient de proposer des stratégies d’enseignement, d’apprentissage et d’encadrement susceptibles de favoriser la réussite scolaire, de déterminer les actions à mettre en place pour assurer la transition des étudiants vers l’université, de déterminer les besoins et intérêts de l’étudiant autochtone qui poursuit des études postsecondaires de même que ceux des différents intervenants institutionnels à propos de la réalité autochtone.

 

Comme nous en avons fait l’hypothèse lors des premiers pas de cette recherche, pour en arriver à cet objectif, les acteurs ont besoin de bien connaitre l’Autre. Les étudiants autochtones ont manifesté ce besoin lorsqu’ils ont souligné qu’ils aimeraient qu’il y ait une plus grande diffusion de la culture autochtone, notamment à l’intérieur des cours, qui permettrait de réduire les préjugés et de les connaitre davantage. Dans les programmes de relation d’aide, cela pourrait fournir des outils aux futurs professionnels afin de mieux intervenir auprès d’une clientèle autochtone. Les intervenants autochtones ont aussi indiqué que les enseignants auraient avantage à être plus informés des conditions socioculturelles et économiques retrouvées dans les communautés autochtones. Des informations sur l’histoire récente des Autochtones seraient également appréciées. À la suite de l’analyse et de l’interprétation des données, voici les éléments que nous estimons important de considérer par les établissements d’enseignement supérieur.

 

3.1 Le soutien à la transition et à l’adaptation

 

D’abord, une grande partie des répondants sont d’avis que les étudiants autochtones ne sont pas suffisamment préparés à faire leur entrée aux études postsecondaires. Par exemple, ce n’est pas tous les étudiants qui connaissaient leurs objectifs d’études, les méthodes de travail efficaces, etc. De plus, pour la majorité des étudiants autochtones interrogés, leur arrivée à l’enseignement supérieur a été marquée par un rattrapage au niveau de la langue française. Également, pour plusieurs, cette initiation aux études postsecondaires a été accompagnée par un changement de milieu de vie (nouvelle ville et/ou nouvelle institution scolaire). Cela a engendré, entre autres, la perte de repères sociaux due à l’éloignement géographique et culturel. Leur mode de vie étant chamboulé, leur première période à l’enseignement supérieur a été, pour une grande majorité, difficile.

 

Pour éviter les problèmes liés à la transition, il est recommandé par l’Association des universités et collèges du Canada (2014) et la Commission de l’éducation (2007) d’offrir, lorsque c’est possible, des formations qui permettent aux Autochtones de demeurer dans leur collectivité. Pour ce faire, il est conseillé de déplacer le formateur ou d’utiliser le potentiel des nouvelles technologies. Quand cela est impossible, il pourrait également être pertinent que l’institution scolaire d’accueil ou les organismes de soutien destinés aux Premiers Peuples développent des services d’aide à la transition (Montminy, 1997). Ce type d’aide a été relevé comme étant efficace dans le rapport de Malatest et autres (2002) portant sur les meilleures pratiques en matière d’enseignement postsecondaire pour favoriser la diplomation d’étudiants autochtones. Le Conseil des ministres de l’Éducation (2010) a également approuvé cette idée dans une analyse documentaire concernant les facteurs qui contribuent au succès de la transition de l’éducation primaire-secondaire vers l’éducation postsecondaire des étudiants autochtones. Dans cette analyse documentaire, le Conseil soulignait que les programmes de transition sont des approches couronnées de succès. Bougie, Kelly-Scott et Arriageda (2013) ont démontré que des pourcentages plus élevés de finissants autochtones se sentaient heureux et en sécurité à l’école.

 

Concrètement, cette période de transition pourrait, par exemple, prendre la forme d’une semaine d’accueil. Pour ceux éprouvant davantage de difficultés, la période de transition pourrait aller jusqu’à une session complète d’intégration aux études postsecondaires incluant des cours d’ajustement à la vie d’étudiants dans un contexte occidental et l’explication du sens des perceptions et des attentes des Allochtones vis-à-vis des étudiants autochtones, entre autres. Cet ajout d’une session permettrait d’alléger le nombre de cours par session dans les années suivantes du programme. Cela pourrait aussi aller à une année complète de cours de transition jumelés aux cours réguliers du programme. Ces cours de transition devraient être reconnus à titre de cours optionnels et, ainsi, donneraient des crédits d’études, allégeant par le fait même la suite de la scolarisation. Dans un rapport portant sur la préparation, le recrutement, l’accès, la transition et la mise à niveau d’étudiants autochtones aux études postsecondaires, Adelman (2010) propose d’implanter une année complète de transition et de mise à niveau incluant un appui à l’intégration, un réseau social de soutien et de l’aide pédagogique. Le rapport pancanadien produit par l’Association des universités et collèges du Canada (2014) suggère également de proposer aux étudiants autochtones un programme transitoire d’une année pour qu’ils solidifient leurs compétences de base (abordées au secondaire) nécessaires à la réussite d’études supérieures. Les programmes de cette nature visent l’insertion dans le monde des études supérieures et favorisent généralement la reconnaissance de crédits collégiaux ou universitaires dans le programme d’attache. Ce genre de programme de soutien à la transition s’est développé davantage dans les provinces anglophones du Canada, par exemple avec le programme ACCESS au Manitoba (Sloane-Seale, 2003). Ce programme vise précisément à améliorer l’accessibilité aux universités des étudiants autochtones défavorisés sur le plan socioéconomique et géographique (Sloane-Seale, 2003; Malatest et autres, 2002).

 

Outre ces programmes d’intégration, la période de transition pourrait se réaliser par un jumelage entre anciens et nouveaux étudiants autochtones, sous forme de mentorat. Il pourrait également être pertinent d’inviter des membres de la famille et de la communauté des étudiants à visiter leur milieu d’études en leur démontrant qu’ils y sont les bienvenus. Cela dit, la Commission de l’éducation (2007) émet des réserves à propos de ce type d’initiatives pour les parents, car elles risquent de renforcer la vision d’une institution acculturante, quand cette dernière n’affiche pas clairement son ouverture à la culture et à la réalité autochtones. La reconnaissance des parents et des familles dans leur rôle de premiers éducateurs des enfants doit être soutenue et valorisée pour faciliter la coopération.

 

 3.2 La reconnaissance des Premiers Peuples

 

Les étudiants autochtones ont affirmé qu’ils aimeraient une meilleure visibilité de leur culture dans leur milieu d’études. Il est logique de croire qu’une visibilité et une reconnaissance accrues des Premiers Peuples du Canada au sein des institutions aideraient à leur persévérance et à leur réussite. Nombreuses sont les études qui montrent que les étudiants autochtones réussissent davantage s’ils fréquentent des établissements scolaires de culture autochtone ou des établissements qui intègrent des éléments de leur culture première (Assemblée des Premières Nations, 2010a; Canada Millennium Scholarship Foundation, 2005; Conseil canadien sur l’apprentissage, 2009; Conseil des ministres de l’Éducation, 2010; Richards, Hove et Afolabi, 2008; Timmons, 2009). Dans cette optique, Shield (2005) suggère d’augmenter le nombre de travailleurs autochtones dans le personnel puisqu’il est particulièrement recommandé d’améliorer la représentation et la contribution autochtones au sein des affaires administratives et des structures décisionnelles des établissements d’éducation. Le Conseil des ministres de l’Éducation (2010) soutient que, pour répondre davantage aux besoins et aux circonstances des apprenants autochtones, il faut accroitre la représentation des personnes autochtones dans le personnel enseignant. Lavell-Harvard (2011) rappelle que les étudiantes autochtones considèrent leur milieu d’études comme étant hostile et que des espaces et programmes prévus pour les Autochtones seraient les bienvenus, de même que le fait de côtoyer davantage d’employés autochtones, particulièrement ceux occupant des postes de direction.

 

Au niveau des études supérieures, cela peut se réaliser également en créant davantage de partenariats entre les organismes autochtones, les communautés autochtones et les différents secteurs éducatifs. Sonn et autres (2000) expliquent que cela peut être réalisé par le biais d’un centre autochtone du milieu scolaire qui agit comme un pont avec les communautés autochtones d’où proviennent les étudiants. De plus, la mise en place d’espaces culturellement valorisants et socialement sécurisants pour les étudiants autochtones leur permettrait une certaine forme de répit, où leur culture autochtone serait pleinement reconnue, valorisée, exposée. L’Association des universités et collèges du Canada (2014) propose de réserver un lieu de rencontre et de socialisation pour les étudiants autochtones. Cet espace peut, à certains moments, se transformer en lieu de perfectionnement de compétences en offrant des services de soutien de tous ordres et en entreprenant des activités de nature culturelle. Un tel espace existe déjà au Cégep de Baie-Comeau, mais ce n’est pas encore le cas à l’Université du Québec à Chicoutimi. La recherche de Timmons (2009), qui porte sur la rétention des étudiants autochtones aux études postsecondaires, relève que des services plus visibles, accessibles et dirigés spécialement pour les étudiants autochtones en permettraient une plus grande utilisation. Timmons (2009) mentionne également que les étudiants autochtones considèrent les centres de ressources leur étant spécifiquement destinés comme des facilitateurs importants pour leur réussite scolaire et leur adaptation sociale. Ces politiques et initiatives pour favoriser la visibilité et la reconnaissance des Autochtones rendraient les étudiants plus à l’aise et favoriseraient leur intégration dans ce milieu de vie.

 

Les étudiants autochtones interrogés souhaiteraient également que leur vision du monde et leur culture soient davantage intégrées dans les curriculums. En plus de les motiver, cela favoriserait, selon eux, leurs relations avec les Allochtones en soutenant les connaissances de part et d’autre. Plusieurs recherches vont en ce sens et recommandent des enseignements et un curriculum culturellement sensibles aux systèmes de pensée autres qu’eurocentriques dans la perspective de favoriser la réussite scolaire des étudiants autochtones, mais également des autres minorités ethniques (Battiste, 2005; Beresford et Partington, 2003; Castagno et Brayboy, 2008; Hare et Pidgeon, 2011; Klug et Whitfield, 2003; Maheux et Gauthier, 2013). Kanu (2007) a étudié l’impact sur la réussite scolaire, la présence en classe et la rétention scolaire de l’introduction de savoirs et de perspectives autochtones à l’intérieur d’un curriculum en sciences sociales. Les résultats montrent une tendance à l’augmentation de la réussite scolaire des élèves et une intervention éducative plus sensible, significative et durable. Ces effets ont également été identifiés par Bishop (Bishop, Berryman, Wearmouth et Peter, 2012; Bishop, Ladwig et Berryman, 2014) à la suite de l’implantation dans plusieurs écoles de la Nouvelle-Zélande d’un programme d’enseignement et d’apprentissage basé sur la vision du monde maori (Autochtones de la Nouvelle-Zélande). Au Québec, l’Institut Kiuna semble obtenir des résultats de même nature (CEPN, 2013).

 

3.3 L’importance des relations humaines

 

Enfin, comme l’indique Styres (2008) dans un article sur le paradigme de recherche autochtone Lavell-Harvard (2011) dans son étude sur des persévérantes autochtones à l’université, la relation entre les étudiants autochtones et le personnel institutionnel est très importante pour soutenir leur réussite. Pour qu’il y ait de bonnes relations, il est recommandé que le personnel possède une certaine base de connaissances quant à l’histoire et à la culture des Premiers Peuples (Adelman, 2010; Huffman, 2001; Malatest et autres, 2002; Maheux et Gauthier, 2013; Shield, 2005; Timmons, 2009). Styres (2008) soutient aussi qu’il est favorable que les institutions scolaires mettent à la disposition du personnel des ressources pour les aider à engager une relation constructive avec les étudiants autochtones. Ce genre de ressources pourrait prendre la forme d’un guide informatif, d’une formation ou d’un documentaire. Est-il nécessaire de préciser qu’il s’agissait de l’objectif principal explicite du présent projet d’élaboration d’un Guide d’intervention institutionnel? Shield (2005) propose d’implanter une formation pour le personnel ayant comme thématique les barrières présentes dans l’expérience scolaire d’étudiants autochtones aux études supérieures. Chez les enseignants et les professionnels, des connaissances accrues des Premiers Peuples leur permettraient d’intégrer davantage d’éléments significatifs de la culture autochtone dans leurs cours et leurs interventions, de diminuer les préjugés, d’avoir un meilleur dialogue avec les étudiants autochtones et d’avoir une compréhension et une sensibilité culturelles accrues de leur situation particulière. Mark (dans Lévesque et Labrecque, 2007) mentionne qu’

il faut amener les professeurs non autochtones à connaitre et à comprendre le passé des Premières Nations, à connaitre les problématiques multiples et complexes, toutes interreliées, et les amener à prendre connaissance des différents obstacles et barrières qui peuvent nuire à la communication, à l’intervention, et à la compréhension de l’autre. Il faut les amener à réfléchir sur soi, sur leur manière d’être et d’agir aussi. Pour faire tout cela, il faut beaucoup d’humilité, parce qu’il faut amener les gens à voir avec les yeux de l’autre et à sortir de leur cadre de référence. Ils doivent accepter de changer leur façon de faire, être tolérants à la diversité culturelle et appuyer positivement l’identité autochtone (p. 85-86).

 

En ce qui a trait à la relation entre les étudiants autochtones et les autres étudiants dans les classes, les enseignants sensibilisés à la culture autochtone développeraient des techniques d’enseignement qui faciliteraient l’intégration des étudiants autochtones et même, qui diminueraient leur timidité. Par exemple, plutôt que de laisser le libre choix aux étudiants lors de la formation d’équipes de travail, les enseignants pourraient tirer au hasard le nom des coéquipiers, ne pénalisant ainsi personne et favorisant l’intercompréhension. Kanu (2007), qui est également d’avis que l’intégration d’un enseignement plus sensible culturellement et des savoirs autochtones sont synonymes de réussite, amène l’idée qu’il serait pertinent de faire participer des membres de la communauté tels que des ainés dans le contexte des cours.

 

L’interprétation de nos données a révélé l’importance de la relation étudiant/enseignant et le fait que cette relation joue un rôle majeur dans la persévérance et la réussite scolaires des étudiants autochtones. Questionnés à propos de ce qu’ils aiment chez leurs enseignants, les étudiants autochtones ont fourni des réponses diversifiées et propres à chacun. Tout de même, certaines caractéristiques sont apparues comme dominantes puisqu’elles ont été nommées plus fréquemment que d’autres. Il en résulte que les étudiants autochtones aiment les enseignants avec qui ils peuvent avoir une relation humaine et de confiance et qui sont capables de susciter des échanges dans la classe. Des auteurs sont d’avis qu’une relation positive entre les étudiants autochtones et leurs professeurs est importante pour leur réussite scolaire (Hampton et Roy, 2002; Smith-Mohamed, 1998; Styres, 2008). Comme le souligne Fontaine (dans Sankhulani, 2007), un curriculum intégrant la vision du monde autochtone mise en place par un enseignant compétent et culturellement sensible pourrait accroitre la participation des élèves et des parents dans l’éducation des Autochtones et développer des relations positives avec la communauté. L’Association des universités et collèges du Canada (2014) et Pewewardy (2002) conseillent également de favoriser autant que possible des approches pédagogiques adaptées aux styles d’apprentissage habituellement attribués aux autochtones et/ou intégrant des éléments de la culture autochtone et de valoriser le savoir autochtone, notamment en l’intégrant aux cours et aux programmes d’études dans le plus large éventail possible de disciplines. Kerr (2014) croit aussi que le programme de formation des enseignants devrait intégrer, entre autres, le système de pensée autochtone plutôt que de miser exclusivement sur le système de pensée eurocentrique. Elle croit qu’il importe d’enseigner, dans la formation des maitres, des pratiques pédagogiques décoloniales. Bishop et autres (2012) qui ont créé un programme d’enseignement intégrant la conception du monde maori en Nouvelle-Zélande, considèrent que la relation étudiants/enseignants est très importante pour la réussite des étudiants autochtones. Leurs recherches les portent à croire que cette relation doit ressembler à celle d’une famille élargie. Cette relation est basée sur une pédagogie culturellement sensible qui suggère que les enseignants développent des relations et des interactions avec les élèves dans une visée de partage des pouvoirs, de non-dominance et d’interdépendance. L’apprentissage devrait alors être interactif, axé sur le dialogue et en évolution, exigeant des allers et retours (erreurs). Selon ce modèle, les étudiants devraient être connectés entre eux quant à leurs apprentissages. L’apprentissage en vient donc à être réciproque et interactif. Kanu (2007) a démontré dans sa recherche avec des élèves autochtones d’une école secondaire de l’Ouest canadien que les savoirs, les attitudes, la personnalité et le style d’instruction des enseignants sont les facteurs les plus influents sur leur réussite scolaire.

 

Conclusion

 

Plusieurs idées ont été émises dans cette partie afin de favoriser l’expérience scolaire des étudiants autochtones aux études postsecondaires. Nous avons vu que ces idées sont déjà bien documentées dans la littérature scientifique. L’étude de la plupart de ces initiatives a d’ailleurs démontré leurs effets positifs sur la scolarisation des Premiers Peuples. Le défi reste donc de les mettre en place. Cela passe bien entendu par un financement adéquat, en appui des décisions institutionnelles formelles. Par ailleurs, il est important de rappeler que la problématique de la scolarisation postsecondaire des Autochtones n’inclut pas seulement les administrateurs institutionnels, mais également tous les acteurs ayant une certaine influence dans l’expérience scolaire des étudiants autochtones : leur famille, les membres de leur communauté, les acteurs du système scolaire de même que les acteurs gouvernementaux, entre autres.

 

En fin de compte, ce qui ressort comme étant prioritaire, est d’amener davantage d’étudiants autochtones aux études postsecondaires et de s’assurer que les ressources en place leur offrent les meilleures possibilités pour qu’ils puissent persévérer jusqu’à l’obtention du diplôme désiré. Richardson et Blanchet-Cohen (2000) ont relevé les meilleures pratiques au pays en matière d’enseignement postsecondaire auprès des étudiants autochtones. Selon eux, les institutions scolaires qui ont le mieux réussi à assurer la persévérance et la réussite scolaires des étudiants autochtones sont celles qui ont intégré les trois approches formulées à l’intérieur du Livre Rouge (The Indian Association of Alberta, 1970). Ces approches sont : 1) enrichir le curriculum et la pédagogie par la culture autochtone afin d’être plus approprié et sensible culturellement; 2) augmenter et favoriser les partenariats entre les institutions scolaires et les communautés autochtones; et 3) en venir à laisser le contrôle de l’éducation postsecondaire des étudiants autochtones aux Premiers Peuples. Si l’on adhère au principe de la mission socialisatrice de l’éducation, on ne peut qu’insister sur l’importance que les institutions d’enseignement supérieur fassent tout en leur possible pour favoriser l’intégration des étudiants autochtones à la population scolaire globale; c’est une condition de réussite personnelle et d’amélioration du niveau de vie dans les communautés. Les sympathies suscitées, les amitiés créées, les relations de qualité nouées avec le personnel scolaire ne peuvent que favoriser la persévérance et la réussite scolaires des jeunes autochtones.

 

[1] Parmi les raisons citées par les Premières Nations vivant hors réserve de 18 à 44 ans, mentionnons, en ordre: l’obtention ou la recherche d’un emploi; la perte d’intérêt ou le manque de motivation; les raisons financières; une grossesse ou les soins aux enfants; les autres responsabilités familiales; un déménagement; ou le niveau de difficulté trop élevé des cours.

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