Origine du projet de recherche

1. La naissance du projet de recherche au Cégep de Baie-Comeau

Bien que la réussite scolaire de la clientèle autochtone ait toujours préoccupé le personnel du Cégep de Baie-Comeau, les intervenants ont constaté, à l’automne 2010, que les solutions mises en place jusqu’alors s’articulaient davantage autour de mesures d’encadrement plutôt que de méthodes pédagogiques, de stratégies d’enseignement ou d’outils de concertation institutionnelle. Cette prise de conscience s’est amorcée lors du développement du nouveau plan de réussite du Cégep de Baie-Comeau, qui proposait, entre autres, la mise en place d’activités d’enseignement et d’apprentissage tenant compte des réalités autochtones. C’est lors des rencontres d’équipe portant sur cet objectif qu’a été mis en relief le fait qu’aucun intervenant du cégep ne possédait suffisamment d’informations ou de connaissances sur la culture innue[1] permettant de soutenir les enseignants dans le choix d’activités pédagogiques et d’apprentissage adaptées aux réalités autochtones. En fait, la question soulevée était la suivante : quel est le rapport à l’enseignement supérieur du jeune étudiant autochtone en situation minoritaire à l’intérieur de ses classes? Par la suite, d’autres questions ont surgi et ont nourri la réflexion des intervenants, telles que : « Est-ce que certaines méthodes pédagogiques, stratégies d’apprentissage et d’encadrement sont plus adaptées à la culture innue que d’autres? Est-ce que certaines méthodes pédagogiques, certaines stratégies d’apprentissage et d’encadrement ont plus d’impacts positifs sur l’expérience scolaire des étudiants en général et, notamment, des étudiants innus? Quels sont les principaux défis et obstacles auxquels font face les étudiants innus au collégial et à l’université? »

 

La directrice adjointe des études de l’époque, et responsable du volet Programme et réussite au Cégep de Baie-Comeau a, dans un premier temps, entrepris une recension préliminaire des écrits. Deux éléments ont soulevé l’attention des intervenants du Cégep à ce moment-là. D’une part, dans son rapport intitulé La réussite scolaire des Autochtones, la Commission de l’éducation (2007) indique que « les taux de passage du secondaire au collégial pour les commissions scolaires Crie et Kativik sont respectivement de 5,7 % et 9,1 %, alors que le taux de passage moyen de l’ensemble des commissions scolaires du Québec s’établit à 60,1 % », statistique que nous allions plus tard approfondir lors d’une recension des écrits plus poussée, telle que rapportée ci-haut dans la problématique de la recherche. D’autre part, cette première recension a suscité l’intérêt des intervenants lorsque ces mêmes écrits ont suggéré que la notion de réussite scolaire chez les Autochtones ne revêtait pas la même connotation que chez la population allochtone. Ainsi, semblait-il, chez les Autochtones, la réussite scolaire ne se mesurait pas tant à partir d’une note à une production spécifique (examen ou travail), à un cours que sur la base de la persévérance ou de la capacité à faire suffisamment d’efforts pour obtenir la note de passage. Cette perspective n’était pas sans nourrir le désir de trouver des réponses aux questions susmentionnées.

 

Dans un second temps, la directrice avait constaté que l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) s’intéressait elle aussi à la réussite scolaire des étudiants autochtones et avait développé une certaine expertise à cet égard, par le biais, entre autres, du Centre des Premières Nations Nikanite (CPNN). Ce centre est une structure administrative, d’encadrement et de recherche pour les étudiants universitaires des Premières Nations. De plus, il s’avérait que quelques chercheurs de l’UQAC avaient développé une expertise qui s’insérait dans les visées du projet qui allait naitre. C’est dans cette perspective qu’ils furent appelés à contribuer à la recherche sur les plans conceptuel, théorique et méthodologique. La présente recherche allait donc constituer la suite logique du travail amorcé par ces chercheurs, intéressés au sens de l’expérience scolaire des jeunes autochtones. Il n’en fallait pas plus pour que surgisse une idée de partenariat entre les deux institutions afin de concevoir un guide d’intervention institutionnelle, lequel allait permettre d’affiner les interventions pédagogiques et humaines auprès des étudiants autochtones de niveau collégial et universitaire et ainsi, favoriser leur réussite scolaire. Qui plus est, le projet correspondait aux attentes du Programme de collaboration universités-collèges du Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS), qui a accepté de verser une allocation de 421 875 $ afin d’en soutenir la réalisation. C’est donc dire que sa pertinence et sa qualité ont été reconnues.

 

Équipe recherche

L’équipe initiale lors du lancement du projet, le 7 février 2012. De gauche à droite : Linda Côté, directrice des études du Cégep de Baie-Comeau, Marco Bacon, directeur du Centre des Premières Nations Nikanite, Sophie Riverin, chargée de gestion du Centre des Premières Nations Nikanite, Josée Savard, agente de recherche du Centre des Premières Nations Nikanite, Roberto Gauthier, directeur de recherche scientifique du Centre des Premières Nations Nikanite, Chantale Lévesque, conseillère pédagogique au Cégep de Baie-Comeau, Nathalie Santerre, chargée de projet au Cégep de Baie-Comeau, et Jo-Anni Joncas, agente de recherche du Centre des Premières Nations Nikanite.

 

2. Deux établissements d’enseignement supérieur accueillant des étudiants autochtones

2.1 Le Cégep de Baie-Comeau

 

De prime abord, il importe de préciser que les étudiants autochtones du Cégep de Baie-Comeau proviennent principalement de la communauté innue de Pessamit, qui compte un peu plus de 2 300 habitants et qui est située à une cinquantaine de kilomètres de Baie-Comeau.

 

Le Cégep de Baie-Comeau accueille annuellement environ une trentaine d’étudiants innus au secteur régulier, dont près d’une douzaine en première année. Le secteur de la formation continue en accueille, pour sa part, environ sept par année. En 2007-2008, le Cégep de Baie-Comeau a accueilli 18 étudiants autochtones à la session d’automne et 21 à la session d’hiver. En 2008-2009, ce nombre est passé à 25 lors de la session automnale et à 29 lors de la session hivernale. En 2009-2010, les statistiques étaient relativement semblables : 29 étudiants autochtones fréquentaient le Cégep de Baie-Comeau à la session d’automne et ils étaient 22 à la session d’hiver. À l’automne 2010, trente étudiants étaient inscrits au cégep, dont 11 en première année.

 

Un regard sur les données statistiques relatives au cheminement scolaire des étudiants autochtones du Cégep de Baie-Comeau permet de constater que la réussite, la persévérance et la diplomation des étudiants innus du Cégep de Baie-Comeau présentent certaines lacunes. Des statistiques échelonnées sur sept ans (2003 à 2009) démontrent en effet que le taux relatif à la moyenne au secondaire des étudiants innus inscrits au Cégep de Baie-Comeau est de 71,3 %, comparativement à 76,2 % pour l’ensemble de la population étudiante du cégep, soit un écart négatif de 4,9 %. L’écart est encore plus important lorsqu’on compare ces statistiques avec l’ensemble du réseau collégial québécois. En effet, le taux concernant la moyenne au secondaire des étudiants du réseau pour la même période d’observation est de 78,1 %, ce qui représente un écart négatif de 6,8 %. De surcroit, le taux de réussite moyen observé en première session au Cégep de Baie-Comeau pour les étudiants autochtones est de 56,9 %, comparativement à 85,1 % pour l’ensemble de la clientèle étudiante. Par contre, les taux de réinscription en troisième session au même programme d’études et au même collège sont semblables : 53,6 % pour la clientèle autochtone et 58,4 % pour l’ensemble des étudiants du cégep. Ajoutons que les taux moyens d’obtention du diplôme dans la durée prévue aux secteurs préuniversitaire et technique des étudiants innus se révèlent également inférieurs aux taux moyens observés pour l’ensemble de la clientèle du cégep (taux préuniversitaires de 28,8 % pour les étudiants autochtones par rapport à 45,1 % pour l’ensemble des étudiants du cégep et au secteur technique, 23,3 % pour les étudiants autochtones comparativement à 36,8 % pour les étudiants allochtones).

 

On peut également constater que les étudiants innus s’inscrivent dans l’ensemble des programmes d’études offerts au Cégep de Baie-Comeau. Il n’existe pas de programme d’études préparatoire aux études collégiales pour cette clientèle ni de programme d’accueil structuré exclusivement pour elle. Ainsi, les étudiants suivent les mêmes programmes d’études et les mêmes cours que les étudiants allochtones. Depuis plus de 20 ans, le cégep offre toutefois des mesures d’encadrement qui visent à répondre aux besoins des étudiants autochtones afin de favoriser leur adaptation et leur intégration aux études collégiales et, ultimement, de favoriser leur réussite scolaire. Les interventions, jusqu’à présent, se sont davantage concentrées sur les mesures d’encadrement plutôt que sur les méthodes pédagogiques ou sur les stratégies d’apprentissage, tel que précisé antérieurement. Une aide pédagogique individuelle a été désignée dans le but d’accompagner les étudiants autochtones tout au long de leur cheminement scolaire, et ce par le biais des rencontres individuelles et de groupe. Elle organise également diverses activités dans le but de faire connaitre et de valoriser la culture autochtone auprès de la communauté collégiale (journée autochtone, conférences, etc.). Un comité de travail, lui aussi coordonné par l’aide pédagogique, a été formé afin d’étendre les interventions de soutien à d’autres secteurs d’activités, soit les secteurs pédagogique, sportif et socioculturel. Ce comité est composé d’enseignants, d’une conseillère pédagogique, d’un conseiller à la vie étudiante, d’un étudiant innu, de la directrice adjointe des études et de l’aide pédagogique. Mentionnons également que le Cégep reçoit, chaque année, dans le cadre du Programme accueil et intégration des Autochtones au collégial, une subvention du MESRS pour assurer la réalisation de ces mesures.

 

 2.2 L’Université du Québec à Chicoutimi

Depuis l’inauguration, en 1991, d’une instance spécialement destinée aux étudiants autochtones universitaires, autrefois nommé le Centre d’études amérindiennes, mais portant aujourd’hui le nom de Centre des Premières Nations Nikanite (désormais CPNN), ce ne sont pas moins de 1349 étudiants des Premières Nations qui se sont inscrits à l’un ou l’autre des programmes offerts par l’établissement universitaire. De ceux-ci, 535 sont aujourd’hui détenteurs d’un diplôme. Ajoutons que les chiffres des dernières années démontrent que les taux d’inscription et de rétention sont croissants.

 

En 2014, on retrouve près de 350 étudiants autochtones qui cheminent à temps complet ou à temps partiel dans l’un ou l’autre des programmes offerts dans les différents centres d’études. Les profils sont assez éclectiques, certes, mais une proportion assez forte d’entre eux est inscrite en éducation (80 étudiants au total). Ces étudiants appartiennent souvent aux nations attikamek et innue et plusieurs proviennent de la communauté de Pessamit, bien que la proportion soit évidemment moins importante que celle du Cégep de Baie-Comeau. Si le français est la langue seconde d’une majorité de ces étudiants, on remarque généralement à leur arrivée des lacunes sur le plan de la maitrise de cette langue pour la réussite des études universitaires.

 

Le CPNN offre des programmes de baccalauréat, des certificats et des programmes courts destinés uniquement aux étudiants autochtones, notamment dans les domaines de l’éducation, du français en tant que langue seconde et de la relation d’aide. Ces programmes suivent des horaires et des contextes particuliers, souvent sous forme de sessions intensives par des enseignants, généralement allochtones, qui se déplacent dans les communautés ou dans des campus de l’UQAC situés à proximité de celles-ci (Sept-Îles et Saint-Félicien, notamment). Aucune formation préparatoire aux études universitaires n’est offerte aux étudiants, bien que des séances pour « apprendre le métier d’étudiant » leur soient spécialement dédiées. Ces séances servent à conseiller les étudiants autochtones quant à leurs stratégies d’apprentissage, à l’utilisation de la bibliothèque, et à clarifier le mandat d’un étudiant universitaire et ce qui est attendu de lui. Maintes activités de l’ordre de la valorisation socioidentitaire sont également au programme du CPNN (Ciné-Nikanite, conférences, semaines autochtones ou multiculturelles, exposition d’art autochtone, etc.).

 

2.3 Deux réalités, un seul cadre de collaboration

Nous venons de le voir, les deux établissements ont en commun des points cruciaux et nécessaires à la réalisation collaborative d’un tel projet : chacun accueille un nombre significatif d’étudiants autochtones, chacun constate des succès et des lacunes dans l’enseignement, l’encadrement et l’accompagnement de cette clientèle et chacun a le souci de mieux comprendre la réalité des étudiants postsecondaires autochtones afin de mieux adapter son approche. Malgré ces éléments communs considérables, la réalité des deux établissements est fort différente à plusieurs niveaux : les catégories d’intervenants, leur rôle et leurs tâches spécifiques, leurs attentes et intérêts face à de nouveaux projets institutionnels, les approches développées avec les étudiants, etc. Une grande disparité existe aussi concernant la réalité des étudiants de niveau collégial et ceux de niveau universitaire. À la lumière de ces données contextuelles, il fut assez vite établi que les équipes de recherche seraient relativement autonomes. Ainsi, la coordination scientifique, financière et générale du projet était partagée par les deux équipes de recherche, tout comme ses assises théoriques et sa méthodologie. Mais une grande latitude était tout de même octroyée à chaque équipe concernant ses objectifs d’interventions, ses pratiques d’investigation, sa méthode d’analyse des données, ainsi que sa partie de rédaction du guide. Chaque équipe de recherche était également libre de mettre à profit les résultats de la recherche sous forme de contribution communautaire qu’elle jugeait la plus appropriée dans son propre contexte scolaire, pour répondre le mieux possible aux besoins des différentes catégories d’acteurs impliqués dans le parcours scolaire des étudiants postsecondaires autochtones, et, le plus fondamentalement, à ceux des étudiants eux-mêmes. Cette décision d’autonomiser les deux équipes de recherche afin de respecter les cultures et les contextes institutionnels de chacun a beaucoup complexifié la cohésion et la cohérence d’ensemble de la recherche, de ses débuts jusqu’à la fin. Ce fut un défi de coordination de tous les instants, mais qui s’est imposé de lui-même sur le plan fonctionnel, et qui a quand même porté les fruits attendus. En conséquence, malgré les efforts d’uniformisation des rédacteurs, il ne faut pas s’étonner que le rapport contienne parfois de petits élans d’addition de données un peu hétéroclites, à commencer par l’énumération des différents objectifs, sans qu’ils soient totalement partagés, ou à tout le moins interprétés de la même façon.

 

3. L’échéancier du projet

La recherche s’est déroulée sur une période de trois ans. La chronologie des évènements se résume de la façon suivante :

 

Année 2011-2012

  • Stratégie d’ensemble pour l’élaboration du plan stratégique global
  • Formation de l’équipe de travail
  • Recension des écrits
  • Détermination des ancrages théoriques et de la méthodologie de la recherche
  • Recrutement des participants, phase de collecte de données de base et conception d’un devis d’intervention
  • Transcription du verbatim du contenu des entrevues

Année 2012-2013

  • Analyse scientifique des résultats obtenus
  • Phase expérimentale et évaluative du projet
  • Rencontres de validation avec les différentes catégories d’acteurs

Année 2013-2014

  • Interprétation des résultats
  • Rédaction du rapport de recherche
  • Élaboration finale du Guide d’intervention institutionnelle

Activités en continu

  • Démarches d’ordre éthique
  • Rédaction des rapports d’étape
  • Participation à divers colloques et congrès (ACFAS, AQPC, Colloque sur les persévérance et la réussite scolaires chez les Premiers Peuples) et publications (Revue de pédagogie de l’AQPC)
  • Rencontres des équipes de recherche et des divers comités en personne ou par l’entremise de visioconférences
  • Poursuite et amélioration de ce qui se déroulait déjà dans nos établissements

 

Une démarche scientifique soutenait chacune de ces grandes étapes. Le responsable scientifique de la recherche, monsieur Roberto Gauthier, a opté pour une approche interprétative et un devis de recherche qualitatif. Il a appuyé sa décision sur les résultats d’une recherche qu’il avait effectuée en 2005 [2] dans la communauté autochtone de Pessamit. En vue d’assurer la congruence, la validité et la pertinence de la recherche, une méthodologie qualitative a permis de recourir à la meilleure instrumentation possible pour la collecte des données, leur analyse et leur interprétation. Ce guide a été conçu en fonction des résultats obtenus lors de la collecte de données à Baie-Comeau

 

Un rapport a également été rédigé à la suite de cette recherche. Le lecteur pourra y trouver des données supplémentaires sur le cadre théorique, la méthodologie utilisée et les résultats obtenus.

 

4. Financement du projet et partenaires impliqués

La recherche a été rendue possible grâce à l’aide financière du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de la Science (MESRS), dans le cadre de son Programme de collaboration universités-collèges. Le ministère a accepté de verser une allocation de 421 875 $ afin de soutenir la réalisation du projet. C’est donc dire que sa pertinence et sa qualité ont été reconnues.

Toutefois, le fait d’obtenir ce financement ne garantissait en rien le succès du projet. Il fallait également obtenir le soutien de divers partenaires impliqués dans le domaine de l’enseignement et des membres de la communauté de Pessamit.
Nous sommes donc très fiers de souligner la participation active des collaborateurs suivants :

 Ministère Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de la Science
 UQAC Université du Québec à Chicoutimi
 Centre Nikanite Centre des Premières Nations Nikanite
 CLEFB Centre local d’emploi et de formation de Betsiamites
 Cégep de Baie-Comeau Cégep de Baie-Comeau

[1] Le terme innu est ici employé, étant donné la localisation géographique de la communauté innue de Pessamit, soit à proximité de la ville de Baie-Comeau.

[2]  Gauthier, R. (2005). Le rapport à l’institution scolaire chez les jeunes amérindiens en fin de formation secondaire : contribution à la compréhension du cheminement scolaire chez les Autochtones. Chicoutimi; Université du Québec à Chicoutimi. (p. 96 et suivantes).

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